Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

brillantes et aient l’air étranger. Les dames pour qui sont ces habits ont envoyé leurs mesures à Mlle Fillion, couturière. » — Une lettre de l’ambassadeur à Mlle Fillion priait celle-ci de se donner la peine de passer le plus tôt possible chez Mme Law, à la place Vendôme, et, répétant les indications qui précèdent, y ajoutait ce détail : « les queues ne doivent pas être coupées, mais doublées de taffetas à l’anglaise. » Deux jours après, il s’aperçoit qu’il a commis un oubli, et se hâte de le réparer par une seconde lettre à Mme Law. « Il faut que chacune des deux pièces d’étoffes riches qui doivent être achetées pour faire deux habits soit de vingt aunes. Ici le tour d’une jupe est de trois aunes trois quarts. Les manteaux sont fort amples et les queues fort larges. » Quand les habits sont prêts, Dubois veut montrer aux dames de Londres comment on les porte à la mode de Paris. Il prie Mlle Fillion « de faire fabriquer une grande poupée, laquelle puisse faire voir aux dames anglaises de quelle manière celles de France sont habillées et coiffées, et portent le linge. » Le neveu se récrie : « mais cette poupée coûtera pour le moins 300 livrés, et ni Mme Law ni la Fillion ne veulent la commander avant d’être assurées du paiement. » Lui-même il n’a garde d’avancer, sans un ordre formel, une pareille somme.

Pendant que Dubois parlait chiffons à Mme Law, il entretenait avec son mari un plus sérieux commerce ; Law était pour lui, comme Nocé à cette époque, un ami politique du premier degré. Nocé, esprit bizarre, philosophe à la façon du grand-prieur de Vendôme, préférait le repos aux dignités, un crédit obscur auprès du régent à d’éclatantes faveurs. Très attaché à ce prince, il le servait sans ambition, ce qui dans une cour pleine d’intrigues lui donnait le flegme et l’impartialité d’un sage. Plus fidèle que Nancré, qui, chargé d’une mission diplomatique en Espagne à la demande de Dubois, s’y barbouilla dans des « patricotages » et perdit la confiance de l’abbé, Nocé soutint, sans jamais varier, l’alliance anglaise ; comme la rupture était consommée entre Huxelles et Dubois au point que le maréchal cachait au conseil de régence les dépêches de Londres, tout l’essentiel de l’affaire passait par les mains de ce roué intelligent, dont les services, très appréciés de l’ambassadeur, furent trop vite oubliés du cardinal-ministre. Appuyé sur Nocé pour la politique étrangère, Dubois, d’un autre côté, avait lié sa partie avec Law, et trouvait en lui un puissant auxiliaire des projets de réforme qu’il méditait dans le gouvernement. D’accord sur le but et sur les moyens, nos deux ambitieux avaient résolu d’exclure les importans de la première heure, Noailles, Huxelles, d’Aguesseau, de supprimer les conseils, d’abaisser le parlement, de rétablir l’omnipotence des secrétaires d’état, c’est-à-dire de simplifier et de renouveler la