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taire, par force ou par douceur, les collaborateurs mystérieux des journaux satiriques qui lardaient à distance le régent et ses roués. L’altesse royale, touchée au vif, lui avait recommandé ce point délicat en lui laissant carte blanche sur le choix des moyens. Dubois, qui savait bien que dans les pays libres la violence employée contre la presse fait beaucoup de bruit et produit peu d’effet, avait demandé à son maître des espions et de l’argent, estimant plus sûr de corrompre en silence que de sévir avec scandale. « Il y a ici, écrivait-il, une coquine appelée Desnoyers, qui a de l’esprit, qui fait ce qu’on appelle la quintessence. Elle est si méchante et si impudente que presque tous les princes de l’Europe lui font donner quelque chose pour lui fermer la bouche. Elle se regarde comme l’Arétin, Pietro Aretino, flagello de principi, qui avait des pensions de tous ceux de son temps. Je ne m’en retournerai pas sans m’être assuré de cette folle dans un pays où l’on n’oserait prendre des mesures d’autorité contre l’insolence de ces écrits… Comme nous sommes en situation de gagner le cœur des nations, il ne faut pas dédaigner les petits seins qui y contribuent souvent autant que les grandes choses. » Enfin, le roi George l’ayant prévenu parmi exprès de son départ, il partit lui-même et résigna dans une dernière dépêche ses fonctions d’ambassadeur extraordinaire : « Je ferme mon portefeuille avec la satisfaction de ne pouvoir pas me reprocher d’avoir écouté une pensée ou dit une parole qui n’eût pas pour but le service, et qui fût mêlée d’intérêt ou de passion. » L’éloge le plus vrai de la négociation avait été fait par Stanhope le jour où l’on signa le traité : « Votre voyage à La Haye, monsieur l’abbé, a sauvé bien du sang humain, et il y a bien des peuples qui vous auront obligation de leur tranquillité, sans s’en douter. » C’est le dernier mot de l’histoire sur cet acte habile, inspiré sans doute par l’intérêt particulier du régent et de son envoyé, mais qui eut ce grand mérite d’assurer à la France, à l’Europe épuisées, une paix nécessaire, et de fonder une politique digne de l’esprit libéral des temps modernes.

En quittant la Hollande, Dubois y laissait d’assez nombreux amis ; les lettres qu’il leur écrivit après son retour en France nous font connaître leurs noms : c’étaient Saurin, Basnage, le comte d’Obden, la comtesse douairière de Nassau, l’amiral de Wassenaër et sa fille. Le diplomate poussa même la galanterie envers cette demoiselle jusqu’à se charger pour lui plaire « de quatre-vingts livres pesant de batteries de cuisine et de chaudrons, dont il paya les droits comme de choses précieuses. » A peine arrivé, il reçut la récompense de ses services, le premier gage certain de sa haute fortune : le 26 mars 1717, il entrait au conseil des affaires étrangères. « Il s’y fourra, dit Saint-Simon, qui cette fois a touché juste, comme