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jusqu’à s’incommoder, » et regrettait d’avoir perdu « les privilèges des philosophes. » Il était l’hôte le plus fêté de la république, le dispensateur accrédité des grâces et des promesses, représentant à titre presque égal la faveur de deux souverains.

Parmi les courtisans du fait accompli, nous ne sommes pas médiocrement surpris de rencontrer, du côté de la France, le duc de Saint-Simon. On sait quelle flétrissure Saint-Simon, dans ses mémoires, a essayé d’imprimer sur le nom de Dubois et sur son œuvre ; quant à lui, ennemi juré de l’alliance anglaise, partisan invariable de l’alliance espagnole, il épuisait, dit-il, son éloquence, en 1716, à détourner le régent de l’Angleterre, « cette irréconciliable adversaire de la France, » à l’arracher aux contours tortueux de la politique de l’abbé, et à le précipiter dans les bras de l’Espagne. Parlant du traité du 4 janvier 1717, il ajoute fièrement : « Dubois et les siens me craignaient sur l’Angleterre ! » Nous n’avons pas le texte de la lettre écrite à Dubois par Saint-Simon vers la fin de 1716 ; mais la réponse du négociateur fait bien voir que son correspondant était fort éloigné de prendre ces airs farouches et de maudire les résultats de la négociation. « Si quelque chose, monsieur, pouvait me flatter, ce serait l’honneur de votre approbation, parce que votre esprit pénétrant vous fait voir les choses comme elles sont, et que votre droiture ne vous permet de parler que sincèrement. J’avoue que je suis heureux que la Providence se soit servie de moi pour procurer au royaume et à un maître que j’adore depuis trente-cinq ans le plus grand bien qu’on pût espérer dans la situation présente, pourvu qu’on sache l’assurer et en faire un bon usage. Je vous supplie, monsieur, d’exhorter ce prince, que Dieu semble destiner à de grandes choses, à être ferme dans ses opinions et dans sa confiance. J’espère que vous serez plus content du détail encore que de la première nouvelle. Je vous rends mille grâces, monsieur, des marques de bonté dont vous m’honorez, et que je continuerai de ménager avec l’attention que vous méritez. » Voilà comment les mémoires de Saint-Simon nous instruisent en matière sérieuse, comment ils nous apprennent la vérité sur le fond des choses et sur les opinions de Saint-Simon ! Nous retrouverons ailleurs d’autres preuves non moins étonnantes de son exactitude et de sa sincérité.

Quelque désir qu’éprouvât Dubois de revenir à Paris et de rentrer, avec sa gloire diplomatique, dans l’intimité du régent, « loin de qui, disait-il, il languissait comme un poisson dans un baquet, » son séjour à La Haye se prolongea par convenance jusqu’au 3 février, c’est-à-dire jusqu’au moment où le roi George mit à la voile pour l’Angleterre. Ce retard lui permit d’exécuter un article capital de ses instructions secrètes ; il s’agissait de découvrir et de faire