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affirmant qu’un seul mot d’éloge accordé par un tel connaisseur « est un opium souverain pour tous ses maux. » En même temps il se tient ferme sur cette habile défensive, ne cédant rien d’essentiel, attentif à réprimer les empiétemens de l’adversaire et à relever ses torts. Huxelles un jour ayant eu l’air de lui faire la leçon sur d’apparentes variations, Dubois lui répond finement que varier à propos est l’art du diplomate, comme louvoyer est celui du marin ; le maréchal, piqué au jeu, marque son dépit par une inconvenance. Dubois, se souvenant qu’il est conseiller d’état, s’informe à Paris des égards dus aux conseillers et les impose à la mauvaise humeur du maréchal. De là cette lettre à Fontenelle, qui est comme perdue dans ces vastes collections de papiers diplomatiques : « Mon illustre, faites-moi l’amitié, lorsque vous rencontrerez M. l’abbé Bignon, de lui demander, par manière de conversation et sans qu’il puisse deviner que cela vienne de moi, comment les maréchaux de France finissent leurs lettres en écrivant aux conseillers d’état. La réponse vous coûtera le papier qu’il faut pour une lettre et la peine de cacheter et de mettre le dessus pour moi et de l’envoyer à mon appartement, afin que l’on me la fasse tenir à la campagne. Je vous prie de ne dire à personne que je vous ai fait cette prière ; je vous embrasse de tout mon cœur. » Pour le talent méconnu ou molesté, la seule vengeance efficace et digne, c’est de réussir. Dubois battit tous ses ennemis en signant à La Haye la triple alliance le 4 janvier 1717.

Le traité avait été précédé de la convention de Hanovre, signée avec les Anglais seuls le 10 octobre ; ces deux actes diplomatiques résument les négociations des six derniers mois de 1716, et marquent la décisive intervention de l’abbé Dubois dans les affaires extérieures. A partir de ce moment, il y a un personnage de plus sur la scène politique. Tiré de son néant à l’âge de soixante ans, après avoir consumé en d’obscures intrigues un génie plein de ressources, Dubois eut dès lors une vue claire de l’avenir qui s’ouvrait devant lui et de la route à suivre pour atteindre ce faîte où devaient le porter certainement la confiance de son maître, l’appui de l’Angleterre et le besoin qu’on aurait de lui. Annonçant au régent le 4 janvier la signature du traité, il termine sa lettre par une insinuation significative : « La triple alliance est enfin signée, monseigneur, et ce qui augmente infiniment ma joie, elle a été signée unanimement par les députés de toutes les provinces. Vous voilà hors de page et moi hors de mes frayeurs que votre altesse royale canonisera lorsque j’aurai eu l’honneur de lui rendre compte de tout. Je m’estime très heureux d’avoir été honoré de vos ordres dans une affaire si essentielle à votre bonheur, et je vous suis plus redevable