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mots et de proverbes, ayant l’accent gascon et les libertés colorées du langage populaire. « Je crois pouvoir assurer votre altesse royale que les concessions qu’elle fait seront rejetées, si on les fait filer chiquète par chiquète, et qu’au contraire il faut former de ces petites grâces un plat en pyramide qui ait une belle apparence, parce que cette menue dragée présentée grain à grain paraîtrait rien. »

Dubois est souvent bas, il n’ennuie jamais ; il a une vulgarité piquante et assaisonnée. Son vrai mérite d’ailleurs est dans le fond des choses, et cette humeur joviale n’est que la vive expression d’une supériorité qui sait trop bien sa force pour s’imposer une gêne inutile. Il rit volontiers de lui-même et de la figure inaccoutumée qu’il commence à faire dans le monde : c’est le contraire du sot parvenu qui prend des airs d’importance. Écrivant à ce même Pecquet, dont il appréciait fort les services et redoutait les maladies, « je prie le Seigneur, lui dit-il, que vos maux n’aient point de suite, et j’offre un holocauste d’un couple de cardinaux, du double de présidens à mortier et d’une douzaine de ducs que je lui abandonne, pourvu qu’il vous conserve… Vous deviez bien, en m’envoyant la pancarte de plénipotentiaire, m’instruire du personnage que cela m’oblige de faire, car il faut que je prenne garde à Jodelet prince. » Jodelet prince, ou Dubois plénipotentiaire, se signalait dans son nouveau métier par des stratagèmes inattendus, par des traits de génie tout à fait dignes d’enrichir le répertoire comique, et il faut voir, lorsqu’il en parle, comme sa verve brille, témoin le récit d’un tour joué, par lui à lord Stanhope au sortir d’un dîner qui avait troublé de quelques vapeurs le flegme du secrétaire d’état ; laissons le héros de l’aventure s’expliquer en personne, car on ne saurait mieux dire, et bornons-nous à bien fixer le lieu de la scène.

Pendant les conférences de Hanovre, Dubois, qui avait quitté l’auberge hollandaise et la compagnie d’Allemands où nous l’avons laissé, habitait incognito, toujours sous le nom de Saint-Albin, dans la maison même que lord Stanhope occupait. On négociait là, du matin au soir, « en robe de chambre et en bonnet de nuit ; » là se passa l’histoire que Dubois raconte au régent le 4 novembre 1716. « J’ai dressé une embuscade à mon hôte, qui a eu tout le succès que je pouvais espérer. Le premier étage de la maison qu’il occupe est composé d’un grand salon peint qui a à chaque bout un grand appartement. Je suis logé dans l’un et il habite l’autre, de sorte que, comme il n’y a que le salon entre nos deux logemens, cela fait une communication continuelle de lui chez moi, et nulle de moi chez lui pour ne le pas interrompre dans les occupations de sa charge et ne pas m’exposer tous les jours à trouver en face ceux dont il est important que je ne sois pas vu. J’ai eu l’honneur d’écrire à votre