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France et l’Angleterre, rappelant le souvenir du cidre pétillant qu’il a bu jadis avec Stanhope à la prospérité des deux peuples ; — il jette si adroitement l’amorce à la curiosité du diplomate anglais qu’il obtient de lui, coup sur coup, trois entrevues d’où il sort avec l’ébauche d’une convention. Il la porte à Paris, revient huit jours après muni de pleins pouvoirs pour la discuter, et suit à Hanovre le roi et son ministre. C’est la préface de la négociation. Dubois a conquis son terrain, il est homme à s’y maintenir. « Vous voilà dans la machine, lui écrivait le commis principal Pecquet ; je ne suis pas en peine de la manière dont vous la remplirez. »

Le comte Stanhope, qui venait d’accepter au nom de l’Angleterre le principe d’une entente cordiale et d’une politique de paix, était un de ces Anglais que la séduction du génie français au XVIIe siècle et l’air de grandeur visible jusque dans nos revers avaient à demi gagnés à notre cause : bien que l’âpreté des dernières guerres eût altéré cette impression, elle n’était pas effacée, et le secrétaire d’état cédait malgré lui à l’empire des préventions qui animaient alors contre nous le peuple, la majorité whig du parlement, la famille royale presque entière, et le cabinet même auquel il appartenait. Connaissant à fond les principales cours de l’Europe, mêlé activement aux grandes affaires des premiers temps du XVIIIe siècle, ses fréquens voyages sur le continent, les amitiés qu’il y cultivait, son expérience de diplomate et de soldat, un tour d’esprit cosmopolite et déjà philosophique, tempéraient chez lui la fougue et la rudesse du patriotisme insulaire ; il craignait la France et s’en défiait sans la haïr. Attaqué par des rivaux qui aigrissaient les rancunes nationales, il ne lui déplaisait pas de les supplanter par une évolution inattendue : il avait connu le régent en Espagne et Dubois à Paris, il goûtait les hautes qualités du prince, la vivacité spirituelle de l’abbé ; nul préjugé ne l’empêchait de travailler avec eux à l’établissement d’un système nouveau qui, soutenu par lui, le soutiendrait lui-même. « J’espère bien, dirait-il, faire perdre aux Anglais l’habitude de regarder les Français comme leurs ennemis naturels. »

Dans le cours des négociations, la probité de Stanhope eut à repousser certaines attaques extra-diplomatiques de l’insidieux abbé : son caractère sortit victorieux de l’épreuve. On a beaucoup dit, d’après Saint-Simon, que Dubois s’était vendu à l’Angleterre ; mais quel besoin avait l’Angleterre d’acheter un homme qui recherchait son alliance et tremblait d’être éconduit ? Les deux pays dans cette affaire n’étaient nullement sur un pied d’égalité ; selon le mot de Dubois, on ne jouait pas à bille égale avec les Anglais. Si vénal qu’on suppose l’abbé, il n’était pas en situation de se vendre. Loin d’être le corrompu, c’est lui, — les documens officiels le prouvent,