Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obscure que nous traversons. On profite de sa détresse pour essayer de l’amener à désavouer les grands principes de liberté qu’elle a professés depuis soixante ans. Il nous semble voir ces personnes doucereusement tenaces qui guettent au chevet d’un malade l’heure de l’affaiblissement pour obtenir de lui qu’il fasse pénitence des paroles courageuses et viriles qu’il a jetées dans le monde. Non, la France, toute malheureuse qu’elle soit, ne reniera pas sa révolution dans ses résultats immortels. On trouve bon aujourd’hui de nous dire sur tous les tons que c’est là une œuvre misérablement avortée, et qu’il vaudrait mieux l’effacer de notre histoire. Sans doute, à bien des égards, elle ne nous a pas donné ce que nous en pouvions attendre, et elle n’a pas réussi à fonder cette liberté mesurée qui échappe aux dictatures et aux insurrections. Quand on va au fond des choses, on reconnaît que le plus grand obstacle au succès définitif est venu de ce que la religion dominante et la liberté n’ont pas pu s’entendre, et cela précisément parce que la religion n’a pas su se dégager suffisamment de la politique, qu’elle a pris parti contre le régime nouveau, et a cherché, en maintenant ses privilèges, à restreindre à son profit le droit de la conscience. Toutes les déclamations, toutes les tentatives contre l’état laïque sont dirigées contre ce qu’on peut appeler l’héritage inaliénable de la révolution ; il a été payé d’assez d’efforts, de luttes et de douleurs pour que nous ne le laissions pas entamer. Il faut que la France sache que l’ultramontanisme veut lui prendre bien plus que son territoire, qu’il veut lui ravir sa pensée, sa force, sa liberté, tout ce pour quoi elle a combattu et souffert, tout, ce qu’évoque son nom, qui à lui seul, selon l’expression de Tocqueville, faisait pâlir les despotes en leur rappelant ce qu’elle était capable de faire pour défendre le legs de 1789. Aussi croyons-nous que, bien loin de revenir en arrière, elle doit faire courageusement un pas en avant, et aborder le grand problème des temps modernes, celui que tout ramène devant nous, cette séparation franche et complète de l’église et de l’état qui seule mettra fin à ce déplorable mélange de politique et de religion par lequel nous périssons.


EDMOND DE PRESSENSE.