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et chrétien. C’est bien là la devise de la fraction exaltée du parti.

La discussion actuelle nous a valu deux brochures qui parlent en termes fort convenables de l’instruction, tout en écartant l’une et l’autre le principe de l’obligation. Dans la première[1], l’auteur, ancien recteur et inspecteur d’académie, accumule les chiffres pour établir que l’obligation serait complètement inutile, qu’elle se heurterait à des impossibilités matérielles ; il renouvelle les dénonciations des siens contre le caractère tyrannique de l’obligation, et chante à son tour l’antienne sur la liberté du père de famille. Son idéal est bien loin en arrière, dans l’ancienne société française. C’est alors qu’à ses yeux la famille était libre sous l’autorité de l’église. Il est vrai qu’il ne lui était pas permis de n’être pas catholique, que les minorités religieuses n’existaient pas devant la loi, que les enfans étaient jetés de force dans un couvent ; ce sont là détails sans importance. La seconde brochure qui se distingue du ramassis sorti des officines ultramontaines est de M. l’évêque d’Orléans. On se souvient des pages pleines de verdeur qu’il avait adressées sur le même sujet à M. Gambetta au mois de novembre dernier. C’était une entrée en campagne aussi véhémente que brillante. L’évêque insistait sur l’importance de l’enseignement religieux et réfutait les théories absolues de M. Gambetta, qui, dans son discours de Saint-Quentin, avait déplacé la question en paraissant s’attaquer à la religion en elle-même et non plus simplement à son intervention officielle dans l’école communale. Cette fois-ci M. Dupanloup s’attache à prouver que ce fameux enseignement obligatoire prussien dont on fait tant de bruit est en réalité le moins laïque des enseignemens, que la religion figure en première ligne dans ses programmes, et, tout en concluant contre l’obligation, il demande à ses adversaires si c’est là ce qu’ils veulent pour la France. L’évêque d’Orléans invoque même avec une satisfaction visible le témoignage de ce grand chrétien qui s’appelait Frédéric II, et qui, entre deux consignes à ses grenadiers, en avait donné une à ses maîtres d’école pour qu’ils eussent à instruire son peuple dans la religion, qui n’en était pas moins l’objet constant de ses mépris. Nous ne comprenons pas bien le parti que l’évêque peut tirer de l’exemple de la Prusse, puisqu’il refuse nettement de lui emprunter l’obligation, et qu’il ne consent pas à reconnaître les bons effets que ce régime a produits pour élever le niveau intellectuel et accroître la vraie force du pays. Il se contente de nous apprendre que le pays de M. de Bismarck ne sait pas respecter suffisamment la conscience ; nous le savons de reste,

  1. La Vérité pratique sur l’instruction gratuite et obligatoire, ou la liberté de la famille sous l’autorité de l’église et son asservissement sous l’autorité de l’état, par P. Fayet.