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Une autre curiosité de Dijon, mais qui nous retiendra moins longtemps que la tombe de Wladislas, c’est le fameux Jacquemard qui sonne les heures au sommet du clocher de Notre-Dame en tête-à-tête avec son épouse flamande. Je ne veux faire sur cette horloge qu’une observation d’une nature toute morale ; il est vrai qu’elle a son importance. On sait que cette horloge appartenait à la ville de Courtray, et qu’elle fut enlevée par Philippe le Hardi et transportée à Dijon après la victoire de Roosebeck ; Elle est donc là depuis 1382, et en la regardant je ne puis m’empêcher de songer qu’elle est comme une sorte d’allégorie ironique de l’histoire de la Flandre après son enlèvement. La dernière fois que Courtray l’entendit sonner, elle sonnait l’heure suprême de la démocratie flamande, pour laquelle le temps s’arrêta subitement aussitôt après qu’elle eut été enlevée. A Roosebeck mourut Philippe, second du nom d’Artevelde, — je dis second, parce que la démagogie de ces d’Artevelde eut une si réelle grandeur qu’il y avait vraiment là les premières assises d’une dynastie populaire, — et avec Philippe mourut la démocratie gantoise, après avoir duré juste quatre-vingts ans. Elle mourut sur ce même champ de bataille de Courtray où elle était née et qu’elle avait rendu si célèbre, coïncidence remarquable sur laquelle j’appelle les rêveries et les souvenirs de démocraties plus modernes. Ainsi fut vengée la sanglante journée de 1302, où l’on avait ramassé les éperons des chevaliers français par brouettées, comme on avait ramassé les anneaux d’or des chevaliers romains par boisseaux après la journée de Cannes. On croirait vraiment qu’en enlevant cette horloge Philippe a obéi à une intention malicieuse, et qu’il s’est dit : « Voici des voisins qui nous donnent trop de tourmens avec leur turbulence ; je m’en vais leur enlever leur horloge, et peut-être qu’après cela ils perdront la notion du temps et sonneront midi à quatorze heures. » La plaisanterie, si elle a été faite, est devenue une véritable réalité. Un esprit républicain très prononcé existe dans la Côte-d’Or, on le sait, et cela certes n’est pas un mal ; mais on dit que sous cet esprit républicain général une démocratie plus aventureuse pointe déjà, et les journaux se sont chargés tout récemment de nous informer que la fameuse société de l’Internationale comptait trois brigades dans la ville de Dijon, fait que j’ai de la peine à croire, étant donnée la richesse générale de ce pays de Bourgogne, où la pauvreté n’existe réellement pas. Cependant, si le fait est vrai, j’invite les démocrates trop ardens de Dijon à venir quelquefois méditer au pied de la tour de Notre-Dame sur