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serait écoulée sans joies ni douleurs. Ce jeune novice mêle à sa piété une certaine expression d’attendrissement qui pourrait bien n’être pas sans rapports avec un certain souci des choses de la terre et du siècle, pour lesquelles il était mieux fait peut-être que pour les choses du ciel et de l’éternité. Cet autre, d’âge mûr au contraire, a cherché dans l’éternité un refuge contre la terre, car toute sa personne d’aspect violent dit assez nettement que, s’il eût vécu dans le monde, il n’aurait peut-être pas échappé au mariage de la potence. Sur tels de ces fronts, on lit écrit gravité, prudence, autorité ; sur tels autres humilité, obéissance, infimité. Cependant cet art de varier les physionomies, si grand qu’il soit, n’est rien encore à côté de l’art avec lequel Claux Slutter a su varier les formes et les plis du capuchon monastique. Le capuchon est dans ces sculptures l’élément dramatique par excellence, et l’on ne saurait croire tout ce qu’il est capable de rendre d’effets saisissans avant d’avoir vu ce tombeau. Ici il est terrible comme le mystère, là il est austère comme la vertu, plus loin le voilà gracieux comme l’élégance. Celui-ci l’a rejeté en arrière pour découvrir une tête de prédicateur ou de docteur que le monde connaît et a coutume d’admirer ; celui-là, dandy du cloître, l’a ramené coquettement de manière à en faire le cadre de son visage ; chez un troisième, il dissimule la face comme un masque chargé de protéger les secrets des mouvemens réels de l’âme. Chez un quatrième, il tombe modestement comme un voile de femme afin de frustrer la curiosité vulgaire, ou comme un rideau devant un jour trop vif, afin de protéger la méditation ou d’empêcher que soit troublé l’entretien de l’âme avec ses pensées. Il donne à ce cinquième, qui se tient immobile et comme pétrifié, l’apparence d’une de ces idoles à signification symbolique dont le voile n’était levé que devant les initiés. Chez ce dernier enfin, il fait frissonner, car il semble vouloir cacher un visage que le monde ne doit jamais plus voir, et dérober la lumière à des yeux qui ne doivent plus contempler que la nuit ; il tombe lourdement comme le couvercle du cercueil ou se colle à la face comme un suaire. Toutes les expressions possibles de la vie et du caractère monastiques sont là, rendues par ce simple détail du capuchon, depuis celles des moines bénis d’Ange de Fiésole jusqu’à celles des moines damnés des romans hétérodoxes de Lewis et de Maturin.

Ce tombeau de Philippe le Hardi semble avoir fait école pendant un moment du XVe siècle, car non-seulement le tombeau de son fils Jean sans Peur est la reproduction exacte du monument de Claux Slutter, mais celui de son frère Jean, duc de Berry, dont on voit les restes dans la crypte de la cathédrale et au musée de la ville de Bourges, semble avoir été exécuté en partie d’après le même