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lemande, interprétant le droit à sa manière, prétend aujourd’hui que ceux qui optent pour la nationalité française doivent transporter leur domicile réel en France, c’est-à-dire quitter le pays. C’est une aggravation évidente, c’est le règne de la force qui continue. Il n’y a rien à dire dès que l’Allemagne tient à bien constater elle-même que c’est la force et la force seule qui s’interpose par le droit de la guerre entre l’Alsace et sa patrie d’hier.

La condition de la France est certes fort laborieuse, même en dehors de ces questions poignantes qui survivent à la paix la plus cruelle. C’est l’histoire éternelle des nations qui sortent à peine des grandes crises et qui restent longtemps endolories, qui se retrouvent debout, vivantes, mais ayant en quelque sorte leur existence à refaire, le fil de leur destinée à ressaisir. Pour la France d’aujourd’hui, telle que les événemens l’ont laissée, le commencement de la régénération, c’est l’intelligence patriotique de sa situation et de ses intérêts de toute nature, c’est la prévoyance dans le conseil, la bonne volonté dans le travail, un sentiment simple et juste des choses. Voir clair devant soi et se bien conduire, c’est encore la première de toutes les habiletés et la meilleure manière de remettre nos affaires intérieures aussi bien que nos affaires extérieures dans la bonne route. Il faut se dire qu’il y a des heures où tout se tient, où tout peut dépendre d’un mouvement juste, comme aussi une résolution mal calculée peut entraîner les conséquences les plus diverses et les plus imprévues. Le gouvernement fait aujourd’hui une expérience où apparaît précisément cet intime lien qui existe entre des intérêts d’un ordre différent ; cette expérience, il la fait assurément avec conviction, et en cela M. le président de la république n’a pas vraiment besoin de se disculper d’être un novateur, de s’être fait une opinion de circonstance ; il est au contraire le plus persévérant des hommes dans une idée invariable. En fin de compte, il est arrivé à ce qu’il voulait : le traité de commerce avec l’Angleterre a été définitivement dénoncé le mois dernier, le traité avec la Belgique vient d’être dénoncé également. Le livre bleu, anglais et une communication au parlement belge nous l’ont dit. C’est le commencement d’une évolution économique. Jusqu’où ira l’évolution et où conduira-t-elle ? Voilà le point obscur. La dénonciation des traités avec l’Angleterre et avec la Belgique n’est vraisemblablement que le préliminaire des négociations par lesquelles on espère arriver à l’abrogation ou à la modification des traités qui lient la France pour quelques années encore à d’autres pays de l’Europe. Maintenant le chemin est ouvert.

C’est une grosse question qui s’engage, il n’y a point à s’y méprendre. Elle n’est en apparence que commerciale ; en réalité elle touche à tout, elle peut réagir sur tout. Elle a particulièrement l’inconvénient de n’être pas claire. Est-ce un mouvement décidé de retraite de cette politique de liberté commerciale, après tout très modérée, qui a prévalu depuis plus