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d’Orient ou qui se préparent à y retourner. Je ne pus refuser toutes les invitations qu’on m’adressa. Mes amis n’étaient pas les premiers venus. C’étaient des hommes avec lesquels j’avais entretenu des rapports constans, qui m’avaient rendu quelque service, ou qui. en avaient accepté de moi. Vous connaissez l’espèce de franc-maçonnerie qui unit entre eux tous les vieux Chinois. Je devais des égards à ceux que je rencontrai à Londres, et malgré l’ennui qui me rongeait je m’exécutai de bonne grâce. C’est alors que Stratton me proposa de m’associer avec lui et d’établir notre maison à Shang-haï. J’acceptai. La discussion de notre acte de société m’occupa plusieurs jours.

Sur ces entrefaites, quelque confiance rentra dans mon âme. Je me disais qu’après tout rien n’était perdu. Si Jeanne est sincère et loyale, elle m’attendra ; j’ai sa parole. Devant Dieu, elle s’est fiancée à moi. Pourquoi m’aurait-elle menti ? — Cette pensée me rendît assez calme pour me permettre de répondre à Mme de Norman. J’excusai mon silence par l’émotion que sa lettre m’avait causée ; je ne pouvais faire autrement que d’accepter les conditions qu’elle avait mises à nos relations ultérieures ; je lui annonçai ensuite ma résolution de ré tourner très prochainement en Chine, avant l’expiration même du délai que j’avais d’abord fixé, et je lui demandai la permission de la revoir avant mon départ. Le retour du courrier m’apporta une réponse des plus amicales. Elle ne contenait pas un mot de mes relations avec Jeanne. Mme de Norman se bornait à me dire que ses deux filles se rappelaient au bon souvenir de leur ami de N…, et ne me pardonneraient pas de quitter l’Europe sans leur avoir fait mes adieux. Je passai encore un mois à Londres, fort occupé de mes affaires. J’échangeai plusieurs lettres avec Mme de Norman. Enfin je pus lui annoncer que le jour de mon départ était arrêté, et que je serais à Paris le 23 novembre, en route pour Marseille, où je devais m’embarquer le 26 sur un des bâtimens de la Compagnie péninsulaire-orientale.

Au jour et à l’heure indiqués, j’arrivai à Paris. Je ne fus point surpris de rencontrer Mme de Norman au chemin de fer. — Je suis heureuse de vous voir, dit-elle ; cela me montre que vous approuvez ma conduite et que vous entrez dans mes vues. — Ce fut la seule allusion à ce qui s’était passé depuis son départ de N… ; puis elle changea de conversation, me donnant à comprendre par toute sa manière d’être qu’elle avait un plan arrêté d’avance. Elle en était la maîtresse. En acceptant son invitation, j’avais implicitement accepté ses conditions. J’inclinai la tête en signe d’assentiment, et tout fut dit.

Le même soir, je me rendis chez Mme de Norman. En entrant dans le salon, je vis Jeanne assise près d’une table presque en face de