Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/929

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

existe entre son cousin et l’étrangère : elle se sacrifie, elle cède celui qu’elle aime, et ne fait d’autre condition à Esther que de le rendre heureux ; mais celle-ci a respiré dans cette famille une atmosphère de pureté qui l’étonné et la rend hésitante. Elle voit ensuite dans Aline tant de générosité qu’elle conçoit des remords sur les prétentions qu’elle garde, tant de candeur et d’ignorance du mat qu’elle rougit de s’être regardée comme réhabilitée.

Nous avons dit qu’il y avait dans Armand autre chose que sa poésie et son enthousiasme. Poussé dans ses derniers retranchemens, il le reconnaît quand il dit vers la fin du troisième acte qu’il ne veut plus se donner le bien et l’idéal pour complices, que tous ces grands mots sont des mensonges, et qu’il n’a qu’un mobile, qu’un attrait : il aime, et voilà tout. Son père lui fait entendre nettement à la fin que sa chimère sublime est une erreur égoïste. Pourquoi Armand n’est-il pas montré ce qu’il est réellement, faible et livré à sa passion ? En deviendrait-il moins dramatique ? Pourquoi tant parler d’utopies et de beaux rêves ? pourquoi développer cet enthousiasme en tête-à-tête ? On n’y sent pas le trait de la satire, et c’est de très bonne foi que les deux amans s’élèvent au diapason du genre lyrique. Cependant Armand est beaucoup moins détaché qu’il ne le veut paraître des choses terrestres. Que devons-nous penser de cette situation ?

Il n’y a de réhabilitation de la femme que par le désintéressement absolu. Esther se rachète parce qu’elle renonce à son amant. Il n’appartient pas à Armand de lui rendre la pureté, parce qu’il l’aime et qu’il la veut pour lui. Vauvenargues nous semble de cet avis. Il a dessiné le portrait d’un jeune homme naïf qui est bon pan tempérament sans connaître les règles de la bonté. Thyeste, « s’il rencontre la nuit une de ces femmes qui épient les jeunes gens, souffre qu’elle l’entretienne et marche quelque temps à côté d’elle, et comme elle se plaint de la nécessité qui détruit toutes les vertus,… il l’exhorte à une vie meilleure, et, ne se trouvant point d’argent parce qu’il est jeune, lui donne sa montre, qui n’est plus à la mode et qui est un présent de sa mère. Ses camarades se moquent de lui… Mes amis, dit-il, vous riez de trop peu de chose,… le monde est rempli de misères qui serrent le cœur,… etc. » Ce portrait date de cent vingt-cinq ans, et l’on voit qu’un simple moraliste, sans être missionnaire ni ascétique, sans être un saint, a fait à ce genre de personnes l’aumône de la pitié, mais de la pitié seulement. Remarquez en quoi Thyeste diffère de l’Armand des Faux Ménages. Il est bien du tempérament de ceux que M. Pailleron appelle plaisamment des réhabiliteurs ; seulement il est désintéressé : il ne prend rien en échange de sa montre et de ses conseils.