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De quoi pourtant peut-il confesser la majorité des spectateurs de la Visite de noces ? Est-ce du caprice sensuel et très corrompu de M. de Cygneroi ? Nous craignons bien que la confession, comme l’entend M. Dumas, ne ressemble fort aux élucubrations de certains casuistes qui, pour ne rien oublier, et peut-être pour faire briller leur pénétration d’esprit, risquent fort d’apprendre le mal à ceux qui ne le connaissent pas, ou mettent en fuite ceux qui ont la sar gesse de ne pas le vouloir connaître si bien.

Nous’ avons eu l’occasion de chercher si la Princesse George était en contradiction avec le principe un peu banal de l’écrivain sur le triomphe de la vertu[1] ; il nous a paru plus utile de montrée que la pièce était sans dénoûment. Nous préférons, toutes les fois que l’auteur nous le permet, ne pas sortir du domaine de l’art ; mais, suivant la règle invoquée par M. Dumas pour prouver la moralité du théâtre, il se condamnerait encore ici lui-même. Le mari en faute n’est pas puni, pas plus qu’il n’est corrigé ; la balle du pistolet qui lui était destinée casse la tête d’un autre qui n’avait à se reprocher que des intentions. A-t-on voulu ici encore confesser l’auditoire ? Il est impossible de croire que la majorité des hommes réunis devant cette pièce soient disposés, comme ce prince, à tromper sans motif, sans inclination réelle, une femme qui n’est ni indifférente, ni importune, dont l’unique défaut est un amour sincère et profond, comme cette passionnée princesse. Si cet homme existe, c’est un malheureux dont le vice même est effacé et sans couleur. Que nous veut-il donc ? et de quel droit viendrait-on nous dire : « C’est de vous qu’il s’agit ? » Il est si nul qu’il ne mérite pas même la colère : il ne vaut pas la balle que l’auteur aurait pu lui loger dans la tête. Ce personnage est visiblement destiné à une moins noble fin. Triste excuse, on en conviendra, pour le dénoûment ! Nous imaginerions volontiers le Cygneroi de la pièce précédente devenu prince George par voie d’avancement dans la bassesse aussi bien que dans la condition. Il ne voulait plus de la comtesse Lydie parce qu’elle était encore trop honnête ; il a trouvé cette comtesse de Terremonde, qui est à la hauteur de ses goûts. Craignons une troisième incarnation de Cygneroi !

N’est-il pas affligeant de voir ce qui peut se perdre de talent et d’esprit dans de tels sujets ? M. Dumas a le secret de l’unité dans ses compositions ; il y est arrivé tout d’abord, par un instinct de nature et comme sans étude. Il a la marque de l’originalité. Avec ces dons, que nous ne croyons pas épuisés, comment ne sent-il pas le besoin de se renouveler ? Tout a changé autour de nous, le

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1871.