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depuis 1870. Les révolutions opérées coup sur coup dans le pays ont été si violentes qu’on s’explique trop le besoin de se recueillir avant d’essayer des tentatives littéraires, et notre but est surtout d’indiquer où en est le théâtre, afin d’entrevoir, s’il est possible, où il doit tendre. M. Alexandre Dumas n’a laissé lieu à personne de se plaindre qu’il ait gardé le silence. Nous le trouvons au théâtre, dans les journaux, un peu partout. Loin de nous la pensée de lui contester le droit de s’intéresser à la chose publique ! Cette fin de non-recevoir est sans doute ce qui déplairait le plus à M. Alexandre Dumas. Bien qu’une première lettre de lui ait été généralement accueillie avec faveur, il accuse injustement le public, dans une seconde, de ne pas permettre qu’un auteur dramatique ait une opinion en pareille matière. Si ce n’est pas une sorte de coquetterie, et qu’il doute réellement de l’accueil qui lui a été fait, on est obligé de penser qu’il a repris la parole, comme certains personnages de la comédie, pour s’assurer qu’il ne s’était pas trompé, que c’est bien lui qui avait parlé avec succès. Ce doute l’a mal conseillé, car la seconde épreuve a été moins heureuse.

Nous regrettons les professions de principes, et l’on pourrait dire les promesses, inscrites dans la seconde lettre, quand on les rapproche de la Visite de noces et de la Princesse George. En effet, M. Dumas raisonne en termes que nous voudrions moins pompeux de l’art dramatique et du théâtre, où il s’occupe « des intérêts les plus sacrés et les plus graves de l’homme. » Sans doute il livre, non sans courage, à la dérision et au mépris les petits dramaturges devenus des politiques de barricades et d’incendies, qui ont passé de la boursouflure de mélodrame, des décors à grand effet, des feux de Bengale, aux massacres d’otages, aux démolitions, aux feux de pétrole. Cette page, nous aimons à le dire, honore son patriotisme ; mais une autre qui fait moins d’honneur à son goût et surtout à sa prudence est celle où il nous représente les écrivains dramatiques comme des religieux qui confessent les hommes assemblés et des moralistes qui les rendent meilleurs. La Visite de noces une confession ! la Princesse George un traité de morale ! A quoi bon promettre ce qu’on ne lui demande pas ? En prenant des engagemens qu’il ne peut tenir, à qui pense-t-il faire illusion si ce n’est à lui-même ? Ses modestes devanciers ne se chargeaient pas d’une si lourde responsabilité : ils s’appelaient pourtant Shakspeare, Molière, Corneille, Racine. Lorsqu’ils étaient parvenus à faire rire ou pleurer les honnêtes gens sans porter atteinte aux bonnes mœurs, ils se tenaient pour contens. Ce ne sont pas eux qui se seraient annoncés comme pontifes de la morale : Voltaire lui-même, dont les ambitions n’étaient pas petites, se montrait d’une simplicité parfaite quand il