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s’élevant d’un étage, de laisser en bas sa gaîté ? Sauf quelques exceptions trop rares, tout le monde sait que de nos jours elle n’est pas fort gaie, et d’ailleurs le rire est d’autant mieux accueilli qu’il ne prétend pas occuper toute la place. Il faut donc oser aujourd’hui ou jamais : trop de prudence énerve le talent. Rien de ce qui veut revivre et se rajeunir de nos jours, le théâtre pas plus que le reste, ne doit prendre conseil de la timidité.

L’imagination ne suffit pas ; pour nous captiver, le cœur se doit mettre de la partie. Assurément il y a peu de dialogues aussi jolis que ceux de M. Augier ; le Post-scriptum, un petit acte de la même année, le prouverait au besoin. Eh bien ! jusque dans ce marivaudage il faut un peu de chaleur de sentiment, et la finesse n’en donne pas. Ce propriétaire garçon qui donne congé à sa locataire et reprend son congé, si elle veut bien l’épouser, aurait de la peine à nous persuader de son amour. Placée dans une pareille alternative, une femme doit avoir une singulière horreur des déménagemens pour hésiter. Dans le Dédit de Marivaux, c’est une somme importante qu’il faudra payer, si l’on épouse suivant son inclination : on paiera, et l’inclination l’emporte sur l’intérêt. Cela est plus commun, nous le voulons bien, mais plus conforme à la nature. Il est vrai que Mme de Verlière ne se laisse pas mettre le marché à la main, et que l’ingénieux M. de Lancy a pris cette forme nouvelle pour proposer ses vues matrimoniales ; cependant un tel début est plus raffiné qu’encourageant, et l’on ne peut s’y prendre mieux pour annoncer qu’on veut faire un simple mariage de raison. De son côté, Mme de Verlière n’est pas plus éprise : un prétendant dont elle attendait les résolutions se décide parce qu’il a perdu ses cheveux, et cette perte détruit l’illusion de la jeune veuve. Personne n’aime donc ni celui qui est préféré, ni celui qui est sacrifié, ni celle qui décide entre eux, et on donnerait beaucoup de ces mots agréables qui abondent dans la comédie de M. Augier pour une étincelle de tendresse. Le talent de Marivaux est de ne jamais oublier la part de l’inclination. S’il n’émeut pas profondément le cœur, il se joue autour, circum prœcordia ludit. Ses intrigues ne sont pas des gageures, ni ses dénoûmens des tours de force. Un moment, une circonstance accidentelle semble décider du sort de ses personnages pour la vie ; mais il a mis en eux un penchant vrai dès le principe, et il fait désirer le mariage de Dorante avec Araminte, bien que tous deux agissent comme s’ils ne le voulaient pas. Le jeu d’esprit consiste ici à faire naître les obstacles de ceux-là mêmes qui devraient ne pas les supporter ; il est racheté ou plutôt justifié par la vérité de leurs sentimens et le naturel de leurs contradictions.

Ni M. Octave Feuillet ni M. Emile Augier n’ont abordé la scène