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fiancée, espérances de gloire et d’avenir. Pour concevoir ainsi le drame, et il paraît impossible de le concevoir autrement, il fait croire à la liberté humaine, et en même temps à quelque, chose de redoutable et de fort qui engage avec elle ces luttes tragiques. Sans doute Julie n’est pas une pièce du même ordre que Dalila, mais pourquoi la fatalité de la passion n’ose-t-elle pas s’y montrer ? car l’aventure de l’orage n’en est pas, j’imagine. Cette pièce se rapproche trop de notre vie bourgeoise pour s’élever jusque-là ; M. Octale Feuillet s’est arrêté à la juste mesure. Cependant la destinée humaine y trouve sa place : les personnages ne sont pas à la merci du hasard ; ils agissent librement même dans leurs erreurs, et, quand ils sont entraînés, ils ont créé par leur faute la force irrésistible qui les perd.

Il n’en est pas moins vrai que le drame n’a pas ses coudées franches dans les bornes étroites de cette vie à l’image de la nôtre. Il est peut-être temps d’en finir avec la tragédie purement bourgeoise, avec cette pauvreté de ressources dont elle dispose. En effet, l’auteur a-t-il beaucoup de choix dans les moyens de supprimer cette infortunée Julie, qui ne peut survivre entre deux hommes que sa faiblesse a rendus ennemis mortels ? La tragédie royale et le drame princier avaient des procédés, tels que le poignard, le poison, l’échafaud, qui échappaient à la vulgarité parce que le talent du poète pouvait les envelopper d’un prestige de grandeur, et qui par suite étaient reproduits sans les mêmes inconvéniens. Puisque Julie doit mourir et qu’il ne convient pas qu’elle s’empoisonne à cause de sa fille, il faut bien qu’elle succombe à la rupture d’une veine du cœur. On ne peut pourtant pas multiplier outre-mesure les anévrismes dans un genre qui a pour loi de représenter fidèlement la réalité. Le réalisme est usé, la réalité toute nue semble bien près de le suivre ; la place est toute faite pour l’histoire ou pour l’imagination. Qui saura la prendre ? Quand même cet homme heureux existerait parmi nous, il resterait encore à savoir si nous ferions l’accueil qu’ils méritent aux développemens intimes et aux nuances de la passion.


II

Avec M. Emile Augier, nous ne sortons pas, il s’en faut, du domaine de la poésie, et certains rapprochemens avec l’ancien théâtre sont toujours de mise. Lui aussi observe les passions humaines et leur demande les ressorts dont il a besoin pour faire agir ses personnages. Seulement vous ne trouvez jamais chez lui celles qui sont violentes et fatales : selon toute apparence, il n’y croit pas.