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elle-même sur le terrain des articles du code relatifs à la succession. Ceux-là sans doute ont mille fois tort qui s’imaginent qu’en développant les sentimens de la famille on n’arrive qu’à tuer le patriotisme. Les anciens ont pu le croire quelquefois, et ici encore nos communistes ne sont que de mauvais imitateurs ; jamais l’amour du pays chez les nations modernes ne se passera de ce premier aliment. À la chaleur de ce doux et puissant foyer naissent tous les affectueux sentimens, comme toutes les sortes de respect. Quelle autorité extérieure et plus ou moins artificielle respectera celui qui n’a pas respecté l’autorité la plus naturelle et la plus sainte qui soit au monde ? C’est un tort néanmoins de ne pas voir qu’il faut à la famille elle-même des complémens et même des correctifs. Nous ne nous éloignons pas, en le remarquant, de la société française. Il y a un dévoûment au bien public, un degré de désintéressement nécessaire que la famille ne donne pas. Elle le combattrait plutôt, si d’autres sentimens n’étaient fortement mis en jeu. La décadence de la famille envahie par le matérialisme, détruite par l’esprit révolutionnaire, serait le premier de nos maux. Est-il faux, est-il hors de propos d’ajouter que la prépondérance exclusive des affections et des calculs qui se rapportent à la famille seule serait le second de nos dangers ? Ce dernier péril est-il chimérique ? Moins encore que l’autre peut-être. Il y a la part à faire en France à la famille existant à peine, tantôt altérée et corrompue, tantôt obéissant trop peu à l’esprit de tradition ; il y a la part à faire aussi à la famille bien constituée avec ses influences amollissantes. C’est contre cet excès que nous voudrions appeler le secours de l’éducation publique, qu’on attaque sans mesure, et du service obligatoire auquel on n’attache peut-être pas une assez grande importance morale. Quoiqu’il en soit, la question de la famille a deus faces, ce qui lui manque et ce qu’elle pourrait avoir en trop au point de vue du sacrifice au bien public. En insistant sur le premier point, nous n’avons pas entendu qu’on négligeât le second, qui cache peut-être plus d’embûches. Le mal qui se présente sous sa vraie forme, on le combat. Le mal qui s’offrirait sous les traits séduisans des affections honnêtes, on s’en défie moins. Il faut y veiller aussi.


HENRI BAUDRILLART.