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qui le charme dans Sylla, c’est cette légèreté railleuse avec laquelle il traite les autres et lui-même. Il ne se prend pas au sérieux, il n’a pas d’illusion sur son œuvre : « c’est le don Juan de la politique. » Il est curieux aussi de remarquer la façon dont M. Mommsen signale, dans ces personnages qu’il aime, les désordres de leur vie privée ; non seulement il ne les dissimule pas, mais il met beaucoup de complaisance à les raconter. Les grands hommes ont des privilèges, M. Mommsen leur passe beaucoup : il est tenté de les mettre en dehors de la morale, comme il les place au-dessus du droit commun. Quand il nous parle des galanteries de celui qu’on appelait « le mari de toutes les femmes et la femme de tous les maris, » son style prend des tons poétiques. « Chez tous ceux, dit-il, que dans leur adolescence l’amour des femmes a couronné d’une éclatante auréole, il en demeure comme un impérissable reflet, » et il nous montre César éclairé par ces reflets d’amour jusque dans son âge mur, et gardant des succès de sa jeunesse « une certaine fatuité dans la démarche, ou plutôt la conscience satisfaite des avantages extérieurs de sa beauté virile. » En vérité, toute cette poésie est de trop. Il est vrai que M. Mommsen revient vite à la prose ; il s’empresse de faire remarquer que son héros était « un homme positif et de haute raison » jusque dans ses débauches ; « il ne prenait jamais les femmes que comme un jeu ; » même sa passion pour Cléopâtre, qu’on a tant blâmée, s’explique à son avantage : c’était un amour diplomatique ; « il ne s’y abandonna d’abord que pour masquer le point faible de la situation du moment. »

Ce qui excite par-dessus tout l’enthousiasme de M. Mommsen, c’est la force ; il l’aime et l’admire partout où il la rencontre. En revanche, la faiblesse n’a pas à compter sur ses sympathies. Quand une nation est vaincue, il l’abandonne ; il s’impatiente lorsqu’elle tarde à mourir, et appelle de tous ses vaux le moment où elle s’effacera de l’histoire. Rien n’est plus singulier que la manière dont il raconte les derniers jours de la Grèce ; il est si impitoyable pour elle que la critique allemande elle-même s’en est scandalisée. C’est la Grèce pourtant ; il semble que ce grand nom devrait disposer un historien à quelque indulgence, qu’il conviendrait d’entendre les aïeux intercédant pour les petits-fils, et dans les misères du présent de respecter les gloires du passé. M. Mommsen n’a pas ces superstitions ; pour lui, ou vaut ce qu’on vaut, et quand on ne vaut plus rien, il faut se résigner à disparaître. Il admet qu’en rendant à la Grèce sa liberté après la défaite de Philippe les Romains étaient de bonne foi. Ce n’est pas le sentiment commun. — La cohue érudite d’autrefois et d’aujourd’hui (c’est ainsi que M. Mommsen traite ceux qui ne sont pas de son avis) a cru voir une dissimulation pro-