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portables, et quand les derniers momens de la république approchent, il applaudit de toutes ses forces à la catastrophe qui doit enfin délivrer Rome de ce qu’il appelle dans sa langue hardie « la clique des nobles. »

Ainsi M. Mommsen frappe à la fois des deux côtés, et ses coups atteignent tous les partis. Ni le sénat ni le peuple ne le satisfont. L’égoïsme et l’insolence de la noblesse le révoltent : il a peur des tribuns et de leurs menées démagogiques. Quelle est donc au fond sa pensée ? que veut-il ? que demande-t-il ? où cherche-t-il le salut de ce gouvernement en détresse ? La réponse est facile : à cette situation désespérée qu’il se plait à dépeindre, il ne sait qu’un remède. Les intérêts des classes populaires lui semblent négligés de tout le monde ; le sénat ne veut rien faire pour elles, les tribuns prennent de mauvaises mesures pour les secourir. Leur sort empire tous les jours, la ruine est prochaine, il faut l’éviter à tout prix. Elles ont le droit et le devoir de pourvoir à leur salut par tous les moyens, mais elles sont malheureusement incapables de se sauver toutes seules. Il faut donc qu’elles contentent à s’incarner dans un homme qui les sauvera ; il faut qu’elles se choisissent un représentant capable de briser toutes les résistances, d’anéantir les volontés contraires, de faire prévaloir le droit par la force, et, quand elles l’auront choisi, qu’elles abdiquent en ses mains et lui remettent le pouvoir. — C’est la théorie du césarisme.

M. Mommsen est donc partisan du césarisme. Il s’en est pourtant quelquefois défendu. Ce mot sonne mal, il veut en éviter l’odieux. Il tient surtout de n’être pas accusé de confondre le César d’autrefois avec ceux d’aujourd’hui. Ce système, qu’il accepte et qu’il prône dans le passé, loin d’être la justification des copies qu’on en a tentées de nos jours, lui en paraît la plus amère critique. Les principes, selon lui, doivent changer avec les circonstances, le despotisme avait du bon dans l’antiquité ; il préfère pour notre temps un régime libéral. « En vertu de cette loi de la nature, dit-il, qui fait que l’organisme le plus grossier l’emporte infiniment sur la machine la plus artistement construite, la constitution politique la moins parfaite, dès qu’elle laisse un peu de jeu à la libre décision de la majorité des citoyens, se montre aussi infiniment supérieure au plus humain, au plus original des absolutismes. » Voilà de sages paroles. On est fort satisfait de les trouver chez M. Mommsen, mais on en est aussi un peu surpris. L’ensemble de son ouvrage ne prépare pas à cette profession de foi libérale. Le gouvernement de la république romaine était loin d’être parfait ; on ne peut nier pourtant qu’il ne fût un de ceux « qui laissent un peu de jeu à la libre décision de la majorité des citoyens : » il valait donc mieux que