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Nogaret fit d’abord une longue remontrance sur les intentions du roi son maître. Jacques de Modène, qui parla au nom des défenseurs de Boniface, protesta et soutint que l’accusation ne pouvait être reçue. Le pape ordonna que, de part et d’autre, les adversaires donneraient leurs prétentions par écrit, et leur assigna les deux vendredis suivans pour continuer à procéder devant lui.

Le vendredi 20 mars, deux cardinaux commis par le pape ordonnèrent aux quatre notaires chargés de rédiger le procès de recevoir tout ce que les parties voudraient produire. Les accusateurs produisirent trois énormes rouleaux, dont l’un ne contenait pas moins de onze pièces de parchemin cousues ensemble. C’étaient d’abord diverses pièces faites du vivant de Boniface, en particulier l’appel au futur concile et la requête au roi du 12 mars 1303 (l’acte d’accusation de Nogaret) ; puis venait un autre écrit plein d’objections subtiles contre l’édit de citation qui avait été affiché aux portes des églises d’Avignon. Cet écrit nous a été conservé ; c’est un petit chef-d’œuvre de pédantisme, où les deux auteurs Nogaret et Plaisian, fidèles à l’esprit de chicane qui s’introduisait alors et qui consistait à ne rien laisser passer sans réclamation, veulent surtout se donner l’avantage de faire au pape une leçon de procédure canonique. Nogaret et Plaisian se plaignent de l’instruction faite par le pape Benoît sur l’affaire d’Anagni ; Nogaret rétablit le récit à sa façon. Nogaret, étant l’homme-lige du roi, n’a pu agir autrement qu’il l’a fait. Boniface détruisait très scélératement sa patrie. « Or je suppose, ajoute-t-il, que j’eusse tué mon propre père au moment où il attaquait ma patrie, tous les anciens auteurs sont d’accord sur ce point, que cela ne pourrait m’être reproché comme un crime. J’en devrais au contraire être loué comme d’un acte de vertu. »

Nogaret et Plaisian renouvelèrent leurs plaintes contre les violences que commettaient les partisans de Boniface pour traverser l’affaire. Ils prétendirent que plusieurs de leurs gens avaient, été volés. Parmi les témoins qui devaient déposer contre Boniface, quelques-uns étaient vieux et valétudinaires ; Nogaret et Plaisian demandèrent instamment que ces témoins fussent reçus sans délai. Ils déclarèrent enfin que quelques cardinaux leur étaient suspects, comme créatures de Boniface et comme ayant fait tous leurs efforts pour empêcher la poursuite ; c’est pourquoi ils les récusèrent et s’offrirent à donner leurs noms au pape, s’il le jugeait nécessaire.

Les séances se continuèrent le 27 mars, le 1er, le 10 et le 11 avril. Ce fut un feu roulant de protestations réciproques, de fins de non-recevoir, de productions de pièces de parchemin ; on traîna dans d’éternelles répétitions. Les accusateurs insistèrent de nouveau sur l’audition des témoins, réclamant pour eux des sûretés « à cause