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le pape et le roi dès le couronnement de Clément à Lyon en novembre 1305. L’affaire dormit ensuite près de trois ans, sans être pourtant abandonnée. Les Colonnes continuaient en silence leur entassement de calomnies. Au commencement de 1308, le cardinal Napoléon des Ursins se rend à Rome pour enrôler les témoins ; le 7 février, il écrit au roi pour l’engager à presser l’affaire. Clément tardant toujours à tenir ses promesses, le roi profita de l’entrevue qu’il eut avec le pape à Poitiers en mai, juin et juillet 1308, pour réitérer ses exigences en présence des cardinaux. Il demandait que tous les actes de Boniface depuis la Toussaint de l’an 1300 fussent annulés, qu’au cas où ce pape serait convaincu d’avoir été hérétique, ses os fussent déterrés et brûlés publiquement, ajoutant avec une modération hypocrite que son ardent désir était qu’il fût trouvé innocent plutôt que coupable. Le roi fit présenter dès lors quarante-trois articles d’hérésies dressés par son conseil ; il requérait qu’on les examinât, et que ses procureurs fussent reçus à les prouver. Selon d’autres, il aurait sollicité en même temps, par le ministère de Plaisian, la canonisation de Célestin et l’absolution de Nogaret. Ce zèle pour la sainteté d’un vieil ermite étrangement simple d’esprit n’était pas désintéressé. Au point où les choses en étaient venues, la canonisation de Célestin devait paraître une injure à la mémoire de Boniface, un triomphe pour le roi et Nogaret.

L’embarras du pape fut extrême. Il consulta ses cardinaux, qui l’engagèrent à gagner du temps, et, pour détourner le coup, à leurrer le roi par l’indiction d’un concile. Un projet de bulle commençant par ces mots : lœlamur in te, daté du 1er juin 1308, ne satisfit ni le roi ni Nogaret. Ce projet resta une lettre morte. Le pape ne fit, ce semble, aucune déclaration officielle ; il en dit cependant assez pour que les adversaires de Boniface se crussent autorisés à publier que, dans un consistoire public tenu à Poitiers, le pape avait annoncé qu’aussitôt après son établissement à Avignon il commencerait à entendre la cause. Il est probable que Nogaret et ses amis se donnèrent le mot pour feindre de prendre au sérieux cette assignation et pour venir mettre le pape en demeure de tenir sa promesse. Au commencement de 1309, en effet, Rainaldo da Supino, qui depuis sa ligue avec Nogaret se qualifiait chevalier du roi de Fiance, se mit en route pour Avignon. On se raconta bientôt avec indignation une étrange histoire. Rainaldo, arrivé à trois lieues d’Avignon, fut attaqué par des gens armés que les parens ou amis de Boniface avaient, dit-on, mis en embuscade. Quelques-uns de ses hommes furent tués, les autres blessés ou mis en fuite. Ceux qui l’avaient accompagné pour se rendre accusateurs contre Boniface reprirent la route de l’Italie, en criant bien haut