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à l’envahisseur, et l’imagination s’épouvante à la pensée des ruines indescriptibles qui viendraient accabler un pays devenu prospère à force de patience et de travail. C’est même la perspective de ces désastres qui pourrait ébranler plus d’un courage et rendre quelque autorité aux voix qui conseilleraient la soumission.

Cependant, si nous avions des conseils à donner au peuple hollandais, nous serions de ceux qui l’exhorteraient à se défendre jusqu’au bout, d’abord parce qu’à la guerre les prévisions les plus rationnelles peuvent être démenties par les événemens les moins probables, et qu’on voit même les bons joueurs perdre parfois avec les meilleures cartes, — ensuite parce que la défaite est plus honorable que la soumission lâche, et que pour les peuples, encore plus que pour les rois, on ne peut jamais dire que tout soit perdu quand l’honneur est sauf, puis encore parce qu’une résistance courageuse leur vaudrait les sympathies de toute l’Europe, qui, malgré son désarroi, comprendrait qu’il est des ambitions intolérables contre lesquelles il faut à tout prix que tous s’unissent ; enfin parce que l’avenir est à Dieu, que les grands empires fondés par la violence finissent de même, et que le meilleur titre pour un peuple revendiquant son indépendance dans les momens de réorganisation européenne, c’est de pouvoir rappeler qu’il a fait tout ce qu’il pouvait pour la défendre. Nous serions bien surpris si, en tenant ce langage, nous ne rencontrions pas l’assentiment de l’immense majorité des Hollandais.

Au reste, nous ne pouvons nous empêcher de faire des vœux pour que les faits viennent donner tort à nos appréhensions. Sommes-nous donc condamnés sans rémission à voir la guerre ensanglanter toute la fin de ce siècle, comme elle en a désolé les premières années ? Les gouvernemens militaires pourront-ils toujours fermer l’oreille à la grande voix de la civilisation, qui réclame avec une énergie croissante qu’on en finisse avec la conquête et les horribles moyens qui la procurent ? Le sentiment que dans la confédération européenne tous les peuples, petits et grands, qui ont une conscience nationale, un esprit, une valeur propre, ont droit par cela même à l’indépendance, ce sentiment ne prévaudra-t-il pas un jour sur les théories matérialistes qui érigent le sang, la race, l’idiome, en facteurs exclusifs des nationalités, et laissent de côté la sympathie morale, la communauté des épreuves et des gloires ? Si donc nous disons aux Hollandais : Veillez, tenez votre poudre sèche, nous voulons ajouter : Espérons encore que vous n’aurez pas besoin de vous en servir.