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qu’elle ne se croira pas forcée de faire taire les oppositions grandissantes à l’intérieur de l’Allemagne par quelque nouvelle entreprise à l’extérieur ? C’est ainsi que plus d’une puissance conquérante a calculé dans ses momens d’embarras. Le négociant qui voit péricliter les affaires qu’il a lancées gagne souvent du temps et des chances en en créant de nouvelles[1].

La conduite des hommes d’état en Hollande a été jusqu’à présent ce qu’elle devait être. Après avoir pendant la guerre poussé jusqu’au scrupule le respect des lois de la neutralité, ils ont évité de donner à la puissance victorieuse le moindre prétexte d’ingérence ou de mécontentement avouable ; mais il est évident qu’ils ne se dissimulent pas les périls qui menacent dans l’avenir, sinon dans le présent, l’indépendance de leur pays. La réorganisation de l’armée, la réforme des lois de recrutement, l’amélioration des armes, sont à l’ordre du jour. Récemment encore le ministre de la guerre venait demander à la chambre la somme, énorme pour le pays, de 34 millions de florins (environ 72 millions de francs) pour le mettre en état de défense. Lorsqu’on se demande quelle est la puissance contre laquelle on croit nécessaire de prendre de telles précautions, la réponse n’est guère douteuse. Il en est en Hollande comme en Angleterre, où, depuis que le régime impérial français, longtemps si redouté, est à terre, on a découvert la nécessité de tripler le nombre des soldats et de s’armer jusqu’aux dents. C’est ainsi que la paix dictée à la France par la Prusse condamne l’Europe à un militarisme hors de toute proportion avec tout ce que nous avons conçu jusqu’à présent. Où est le temps où la France portait ombrage à l’Europe entière parce qu’elle avait toujours de 3 à 400,000 soldats prêts à se jeter n’importe où ? Quatre cent mille hommes, qu’est-ce que cela ?

Les efforts des Hollandais prévoyans rencontrent des difficultés de plus d’un genre. Le peuple néerlandais, essentiellement commerçant, n’a jamais eu des goûts militaires. Il calcule avec effroi les sommes improductives qu’engloutit chaque année le budget de l’armée, et il est peu de pays où les théories du désarmement général aient fait autant de progrès dans les dernières années. C’est au point que tout récemment encore, dans un cercle politique d’Amsterdam, on a pu présenter avec un demi-succès la proposition de supprimer, ou peu s’en faut, le budget de la guerre. La Hollande, disaient les promoteurs du projet, est forte de son bon droit,

  1. Nous omettons à dessein les complications qui ne pourront un jour ou l’autre manquer d’éclater à propos du Luxembourg. On ne sait pas assez à l’étranger que, si le roi de Hollande est aussi grand-duc de Luxembourg, il n’y a rien de commun entre ce pays et la Hollande, dont il est séparé par l’Allemagne et la Belgique. Législation ! ministère, parlement, tout diffère. La Hollande ne pourrait être impliquée dans les affaires du grand-duché que comme cosignataire du traité qui en garantit la neutralité,