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intention méchante, qu’il faut recevoir de bonne humeur. A vos flèches légères il répondra par des bombes. C’est pourtant par ce genre de polémique, où la courtoisie n’exclut pas la vivacité, que se révèle le mieux la personnalité. Le savant allemand n’est point dépourvu de tout attrait ; sa simplicité, sa naïveté, le sérieux parfait avec lequel il voue toute la poésie de son âme, tout l’idéal de sa vie, à l’étude de quelques questions abstraites, sa susceptibilité ombrageuse, son dévoûment à la science spéciale dont il se fait une maîtresse adorée, tout cela commande autre chose que le dédain, tout cela même a droit au respect ; mais ce sont là des traits généraux dont aucun ne caractérise un individu, une véritable personne.

Qu’on ne s’y trompe pas : c’est le même effacement du caractère individuel qui fait que l’Allemand se courbe si aisément devant son supérieur, tandis que le Hollandais est républicain-né. S’il est fort attaché à la famille d’Orange, c’est bien plus parce qu’elle est famille d’Orange que parce qu’elle est famille royale. C’est le maintien persévérant du bon droit de la nationalité néerlandaise qui fait le prestige de la dynastie, et on ne crie pas ordinairement en Hollande : Vive le roi ! on crie : Oranje boven ! Orange à notre tête ! parce que cela veut dire indépendance et sécurité, quel que soit le titre conféré. Cet individualisme prononcé engendre peut-être les défauts particuliers que les étrangers reprochent aux Hollandais, une certaine raideur, peu de liant, une grande froideur. L’enthousiasme est rare en Hollande, sauf quand il s’agit de quelques questions où les Hollandais se sentent unanimes. Sur les autres points, chacun a son idée, se dit que son voisin a le droit absolu d’en avoir une autre, et il est peu de pays où il soit aussi difficile de former une nombreuse école, d’organiser un grand parti, de créer un courant général d’opinion qu’on puisse diriger, modérer ou précipiter à volonté. Lorsqu’on suit de près le jeu des partis politiques en Hollande, on est frappé de la vérité de cette observation. Combien de fois M. Thorebecke, l’éminent homme d’état qui depuis 1848 a le plus souvent présidé le conseil des ministres, a-t-il vu sa majorité se scinder, se dissoudre, l’abandonner dans les momens critiques ! Que de déceptions M. Groen et les chefs du vieux parti orangiste se sont vu infliger toutes les fois qu’ils ont essayé de grouper et de concentrer les forces réactionnaires ! La politique et la littérature de ce petit pays sont comme sa grande école de peinture. Elles comprennent les excentricités d’un Jean Steen aussi bien que le sérieux imposant d’un Rembrandt. C’est pour la même raison qu’aucun pays sur le continent ne compte autant de sectes religieuses habituées depuis longtemps à vivre côte à côte. « On nous a dit souvent que nous étions les Chinois de l’Europe, s’écrie M » Pierson ; eh bien ! oui, nous sommes les Chinois de l’Europe, nous ne