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— Puissiez-vous être plus heureux que les Alsaciens et les Lorrains, lui dis-je en le quittant.

Cette conversation me donna beaucoup à penser. Une chose surtout m’étonnait : c’était l’espèce de surprise que mes deux interlocuteurs avaient manifestée, le Hollandais en voyant qu’un Allemand pouvait parler comme d’une chose toute simple, allant de soi, de la prochaine entrée de la Hollande dans l’empire allemand, — l’Allemand en découvrant qu’un Hollandais instruit, sans passion politique, et qui même avait fait preuve de plus d’indulgence pour l’Allemagne que pour la France dans plusieurs appréciations de la dernière guerre, se révoltait à la seule idée que les conséquences de cette guerre pussent entraîner la réunion de la Hollande à la patrie allemande. Pour moi, qu’un séjour de quelque durée en Hollande dans les dernières années et un séjour forcé tout récent en Allemagne avaient assez bien initié aux idées et aux tendances régnantes des deux pays, c’était cette surprise qui me surprenait. Tout bien pesé, l’illusion de l’Allemand était la plus facile à comprendre. On ne sait jamais très bien à l’étranger ce qui se passe dans un pays dont la langue n’est à peu près connue de personne. Je résolus de retourner en Hollande pour tâcher de me faire une idée nette de ce que l’on pensait, dans le pays même, de la situation.


II

C’est une chose assez compliquée que de déterminer avec précision le sentiment qui domine à cette heure dans les Pays-Bas à l’égard de l’Allemagne. L’attachement à la nationalité y est très fort, vraiment universel. Les exceptions, si même il y en a, ne valent pas qu’on les compte. De sourdes inquiétudes sur les dangers dont elle pourrait être bientôt menacée par un voisin très puissant et peu scrupuleux se font jour de temps à autre, sans éclat toutefois, avec une certaine discrétion, et comme si l’on craignait de donner une valeur à un péril qui n’existe pas encore d’une manière bien réelle. La classe inférieure en Hollande aime peu les Allemands, elle leur applique des sobriquets méprisans, et les regarde de haut ; mais son éducation politique est très arriérée, cette antipathie date de loin, et cette classe ne se rend pas un compte bien clair des changemens apportés par la dernière guerre à la situation du pays. On prétend que la cour, du moins pour ce qui concerne spécialement la Prusse, partage plutôt les dispositions de la classe inférieure que les tendances moins prononcées des classes moyennes. Celles-ci, plus prépondérantes peut-être en Hollande que partout ailleurs, sont partagées, très indécises, surtout très réservées dans l’expression de leurs sentimens. Chez