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sérieusement mine de nous assujettir… Mais ce genre de conversation me déplaît, et je vous prie, messieurs, de m’excuser si je prends congé de vous.

À ces mots, il se leva et quitta la salle. — On dirait vraiment qu’il se fâche, me dit l’Allemand quand le Hollandais eut disparu. Je ne voulais pourtant pas le blesser. Il faudra bien qu’un jour ou l’autre il prenne son parti de ce qui lui répugne si fort. J’aurais pu l’inquiéter encore plus en lui parlant de ces nombreux Allemands qui pénètrent chaque jour en Hollande et très souvent s’y établissent. J’ai un neveu dans une des premières maisons d’Amsterdam, et il était inutile d’appeler son attention sur ce point délicat. Par la force même des choses, par la lente infiltration des Allemands de l’intérieur qui viennent faire leurs affaires en Hollande et s’y marient volontiers, il se formera une opinion moins revêche à nos désirs, et nous finirons bien par nous entendre.

— J’en doute, lui répondis-je. Jusqu’à présent, la Hollande s’est parfaitement assimilé les élémens français et allemands qui se sont fixés chez elle. Les descendans des Français réfugiés aux deux derniers siècles et ceux des Allemands attirés en grand nombre par le négoce pendant ce même laps de temps sont devenus complètement et également Hollandais. En tout cas, cette prévision ne pourrait se réaliser que dans un avenir encore lointain, et d’ici là l’empire allemand peut subir bien des vicissitudes.

— Et lesquelles ?

— Qui vivra verra, dis-je en le saluant et quittant la salle à mon tour.

Une demi-heure après, je retrouvai mon Hollandais. — Avez-vous entendu cet arrogant ? me dit-il. Je n’y tenais plus quand je vous ai quittés. On m’avait bien affirmé qu’il y avait des Allemands entichés de ces idées d’annexion hollandaise, mais je ne voulais pas le croire. Maintenant je ne peux plus en douter. La sécurité de leur empire ! La belle raison pour prendre ce qui ne leur appartient pas !

— Que feriez-vous pourtant si l’un de ces beaux matins on vous cherchait à Berlin une de ces querelles comme on sait en faire naître en Allemagne, et qu’on en prît texte pour envahir votre territoire ?

— Nous nous défendrions tous jusqu’à la mort.

— Je le veux bien ; mais vous seriez tous tués, et pas plus avancés pour cela. Il vous faudrait un bon allié ! L’Angleterre pourrait, mais voudrait-elle ? La France voudrait bien, mais pourrait-elle ?

Mon Hollandais hocha la tête. — A la grâce de Dieu ! dit-il, ne nous tourmentons pas avant l’heure. Tout ce que je peux vous répéter, c’est qu’en Hollande nous ne voulons pas être annexés, et que nous ferons tout ce que nous pourrons pour ne pas l’être.