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isolé. Cet isolement lui est nuisible, et à nous aussi. Que faisons-nous de blâmable quand nous cherchons à l’éclairer sur ses véritables intérêts conformes aux nôtres ? En quoi violons-nous les vrais principes quand nous lui disons : Ne persiste pas dans la séparation, rentre avec nous tous dans le sein de la grande famille dont tu faisais autrefois partie ; nous nous en trouverons tous bien, et tu n’y perdras réellement rien !

— Voilà ce que nous contestons absolument, interrompit le Hollandais, dont la provision de patience commençait enfin à s’épuiser. Vous partez toujours de l’idée que nous sommes des Allemands comme vous, sauf quelques différences extérieures ne touchant pas au fond. À ce compte, la France aurait le droit de réclamer comme ses enfans les Wallons de Belgique, les Romands de Suisse, les Italiens du nord. Ne confondez donc pas la race et la nation ; autrement on ne saurait ce que l’Europe va devenir. Nous sommes en majorité d’origine germanique, cela est vrai, bien que nous comptions aussi de nombreux élémens celtiques dans nos populations, les Danois, les Scandinaves en général sont aussi d’origine germanique. Voulez-vous également les annexer ? Notre langue est germanique, comme les leurs et comme l’anglais, mais elle n’est pas du tout un dérivé, encore moins un patois de l’allemand. Elle est aussi originale que la vôtre. Elle se rattache comme la vôtre au vieux tronc germanique, dont elle est une branche indépendante, poussée parallèlement au haut-allemand, lequel n’est devenu que peu à peu l’allemand moderne. Il y a même des savans qui prétendent qu’elle est plus rapprochée que la vôtre du tronc primitif. Un Hollandais et un Allemand ne se comprennent pas quand ils se parlent chacun dans sa langue. Notre articulation est toute différente. Voyez vous-même : nous sommes trois ici de nationalité distincte ; pour lier conversation, comme je ne sais pas parler allemand et que vous ne savez le hollandais ni l’un ni l’autre, nous avons dû recourir au français. Je ne me flatte pas de parler très purement cette langue, cependant je la parle sans difficulté avec les personnes que mes fautes n’effarouchent pas ; des milliers de mes compatriotes sont dans le même cas, et je vois combien vous autres de la haute Allemagne vous avez de peine à ne pas estropier tout mot français Où se rencontre un f, un p ou un d. Au surplus, qu’importe cette question de langue ? Nous parlerions allemand comme les Suisses et les Alsaciens que nous ne serions pas Allemands pour cela. Notre histoire, nos anciennes constitutions, nos mœurs, nos qualités et nos défauts réunis, tout nous distingue de vous, et si rien ne nous empêche de rester bons amis sur la base du respect de nos droits réciproques, vous pouvez être certains de nous avoir pour ennemis irréconciliables dès que vous ferez