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tembre, qu’il n’a pas trahi la ville de Paris, dont il était le défenseur ! Voilà bien un des triomphes de l’esprit de polémique et de dénigrement.

C’est notre fatalité, c’est notre tourment de nous sentir sous l’inexorable poids des catastrophes qui ont découronné la France de son prestige, qui l’ont atteinte dans son influence, dans son intégrité, et de ne pouvoir supporter sans révolte ce malaise des grands vaincus du destin. De là cette sorte d’émulation fébrile à scruter les causes de si cruels désastres, à poursuivre la responsabilité des hommes et des gouvernemens sous toutes les formes de l’incapacité ou de la trahison. De là ce travail universel d’enquête, de divulgation, qui a sans doute son utilité et sa moralité tant qu’il n’a d’autre objet que de rechercher comment la fortune de la France a pu être si promptement dissipée, mais qui dégénère aussi trop souvent en récriminations intéressées, en apologies personnelles ou en prétentieuses banalités. Nous le voyons se dérouler depuis un an dans les livres, dans les brochures, dans les enquêtes et dans les débats de justice, ce douloureux procès de nos malheurs où les témoignages succèdent aux témoignages, où reparaissent incessamment les plus pénibles, les plus poignans épisodes de notre histoire depuis les premiers jours du mois de juillet 1870. Des causes générales, venant de loin, il y en a certainement, et il y a aussi la part, l’incontestable part des gouvernemens et des hommes qui n’ont su ni voir les événemens ni être à la hauteur du rôle que ces événemens leur faisaient. On aura beau faire, on aura beau répéter devant la cour d’assises ou dans les journaux que le général Trochu ne s’est pas fait tuer sur les marches des Tuileries pour défendre l’impératrice le 4 septembre 1870, ou qu’il n’a pas été vainqueur à Buzenval le 19 janvier 1871, que M. Jules Favre, le négociateur des inévitables humiliations qui ont suivi, n’est qu’un médiocre diplomate, est-ce que cela supprime Sedan et tout ce qui a préparé Sedan ? Est-ce que cela peut absoudre l’empire d’avoir précipité la France dans la plus effroyable lutte sans la moindre prévoyance, avec une sorte d’étourderie fiévreuse que l’ancien ministre des affaires étrangères, M. le duc de Gramont, ne réussit point à pallier dans son livre sur la France et la Prusse avant la guerre ?.

Ce qu’il y a de plus manifeste dans les explications de M. de Gramont, c’est le désarroi universel des esprits à ce moment suprême, c’est le décousu de cette négociation qui court les chemins avec la vélocité du fil électrique, et qu’on livre dès la première heure à toutes les mobilités des passions populaires. Que veut prouver l’ancien ministre des affaires étrangères dans ce livre presque naïf qui n’est qu’une impuissante tentative de réhabilitation et un triste aveu d’imprévoyance ? Il prouve, si l’on veut, qu’il a été joué par la diplomatie prussienne, que le gouvernement impérial était de bonne foi et ne voulait que la paix, que M. de Bismarck seul voulait la guerre parce que seul il y était intéressé, parce qu’il ne pouvait enchaîner les états du sud et faire l’empire allemand