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pressé. En abordant la situation par les grands côtés, on aurait évité deux choses : la première, c’est d’être obligé de voter pour 1872 un budget qui ne s’équilibre que par un expédient ; la seconde, c’est de laisser dégénérer les dernières discussions financières en une sorte de chasse assez médiocre aux petites économies. L’esprit d’économie est certainement un bon conseiller, et il est plus que jamais de circonstance. Il ne faut pas croire cependant qu’on ira bien loin en abolissant quelque emploi obscur ou en supprimant la subvention des théâtres lyriques, comme on l’a proposé. Si malheureuse que soit la France, elle n’est point encore assez dénuée pour renoncer par pénitence à ce qui a fait son éclat, pour fermer un théâtre où a brillé dans sa splendeur l’art musical européen. Il ne nous restera plus, pour devenir tout à fait économes et utilitaires, qu’à planter des légumes dans le jardin des Tuileries. — M. Boulé a plaidé avec une vive et séduisante éloquence qui a enlevé le succès la cause de ces théâtres lyriques qui, au premier abord, n’apparaissent que comme un lieu de distraction frivole, et qui en réalité ont leur part dans l’attraction que la France a toujours exercée sur le monde. Mieux valait assurément ne pas perdre une séance à marchander une subvention qui ne ruinera pas, la France, et aborder de suite les grandes combinaisons qui peuvent fonder et garantir notre situation financière ; or c’est là ce qui reste à réaliser.

Qu’a-t-on fait d’un autre côté pour la réorganisation de nos forces militaires ? On a discuté beaucoup et on discute encore sur l’armée au moins autant que sur les finances. M. Thiers, quant à lui, ne cache pas que c’est là sa première préoccupation, qu’il travaille à refaire notre armée, non dans une préméditation de guerre qui serait bien peu conforme à notre condition présente, mais simplement pour que la France, appuyée sur une armée digne d’elle, retrouve sa juste autorité dans les affaires du monde. Seulement M. le président de la république ne peut se servir que des élémens qu’il a sous la main de la loi qui existe. Il trouve peut-être cette loi suffisante ; ici pourtant il se heurte au sentiment public réclamant une loi nouvelle qui embrasse la nation tout entière, qui soumette tous les Français à l’obligation du service personnel. Ce n’est pas seulement un intérêt militaire, c’est un intérêt social, un intérêt de patriotisme et de discipline universelle. M. de Chasseloup-Laubat, comme organe de la commission militaire de l’assemblée, vient de publier un remarquable rapport à l’appui de la loi nouvelle qui est présentée. Que l’assemblée s’attache à des mesures de cet ordre, elle se grandira à ses propres yeux comme aux yeux du pays ; elle perdra le goût des conflits intéressés de partis, des querelles tumultueuses, et les hommes publics eux-mêmes, détournés des vaines excitations pour s’occuper d’œuvres plus sérieuses, ne tomberont pas dans le piège où est tombé le général Trochu en faisant un procès où il est réduit à prouver qu’il est un honnête homme, qu’il n’a pas trahi l’empire au 4 sep-