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résulte ? On se perd dans cette confusion des langues. Le nerf de l’action s’émousse chez les hommes, même chez ceux qui prennent part au gouvernement, le sens des choses supérieures et des choses pratiques s’altère. On finit par se persuader que discuter c’est agir, et il arrive alors ce que laissait récemment entrevoir un publiciste étranger d’un talent brillant et qui a été toujours sympathique pour la France, M. Ruggiero Bonghi : « on croirait, disait-il, que chez beaucoup d’hommes politiques français et dans beaucoup de journaux le sentiment de la responsabilité manque… » Oui, l’atténuation du sentiment de la responsabilité par l’abus de l’esprit de critique, qui se confond trop souvent avec l’esprit de parti, voilà le mal. Voilà ce qui fait que notre politique va s’égarer dans des détails subalternes, dans des querelles irritantes ou inutiles, lorsqu’elle devrait secouer cette atmosphère énervante, et n’avoir qu’un but fixe, la réorganisation du pays par une action incessante et infatigable. Qu’on ne craigne rien, les criailleries se tairont, et la paix dont on se flatte aujourd’hui sera bien plus réelle, lorsque les actes répondant aux grandes nécessités du moment se succéderont.

M. Thiers, dans le dernier discours qu’il vient de prononcer, a caractérisé supérieurement deux de ces grandes nécessités, la réorganisation de nos finances et la réorganisation de notre armée. Il est bien évident en effet que ces deux questions, sans être les seules, sont les plus pressantes, puisque de là dépendent la libération du territoire et le crédit, l’autorité de notre pays. Tant qu’on n’aura pas réglé notre situation financière, tant qu’on n’aura pas mis le budget en état de supporter les charges qui pèsent sur nous, on restera forcément dans des conditions incertaines. Sans doute, on a créé des ressources, on a voté des impôts nouveaux pour plus de 400 millions ; mais cela ne suffit pas, on ne le sait que trop : il reste à compléter cet accablant budget des contributions nouvelles. Comment y arrivera-t-on ? M. Thiers tient toujours visiblement à son impôt sur les matières premières, quoiqu’il semble disposé désormais à n’en plus faire une question de gouvernement. M. le président de la république se trompe peut-être, non-seulement parce qu’il s’expose à jeter le trouble dans les intérêts économiques, mais encore parce que l’impôt ne peut pas produire immédiatement tout ce qu’il en attend, parce que nous sommes liés par des traités de commerce dont la dénonciation peut être jusqu’à un certain point une épreuve pour nos rapports avec les autres pays. En fin de compte, c’est pourtant un système, et en dégageant la situation de toute perspective de conflit à ce sujet, M. Thiers s’est habilement placé sur le plus solide terrain. Il peut désormais dire aux commissions financières de l’assemblée que, si elles persistent à repousser l’impôt sur les matières premières, elles doivent proposer leurs vues et leurs combinaisons. Que propose-t-on ? Depuis près de trois mois, on examine et on discute, on doit bien être arrivé à quelque résultat. C’était là évidemment le plus