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M. Fisk, dont les journaux américains annonçaient dernièrement la fin lamentable. Il a été assassiné dans un hôtel de New-York par un concurrent malheureux.

M. James Fisk, fils d’un colporteur du Connecticut, suivit d’abord la carrière paternelle. Il s’était fait quelque réputation dans les villes du Vermont et du Massachusetts qu’il visitait périodiquement, si bien qu’un négociant de Boston se l’associa. En peu d’années, il y acquit une fortune dont un moins ambitieux se serait contenté. Brutal, ignorant, mais plein d’ardeur et d’entrain, il s’introduisit avec le banquier Gould dans le chemin de fer de l’Érié à la suite des combinaisons financières par lesquelles M. Vanderbilt s’en était vu évincé. MM. Gould et Fisk devinrent bientôt maîtres absolus d’une compagnie qui employait 15,000 individus. Ce ne fut pas tout : ils montèrent une maison de banque, achetèrent un théâtre, et, appuyés sur le parti radical de la ville de New-York, ils ne reculèrent plus devant aucune entreprise. Leur influence était si grande qu’ils obtinrent de la législature une loi par laquelle les directeurs de l’Érié ne devaient plus être réélus annuellement suivant l’usage de toutes les associations financières. On les vit ensuite accaparer l’or monnayé avec des moyens si puissans que la circulation monétaire en fut troublée, et que le président de l’Union fut obligé d’intervenir dans l’intérêt du commerce.

Il y avait, entre les grands chemins de fer-de l’Érié et du New-York-Central, une petite ligne que l’on pourrait appeler d’intérêt local, allant d’Albany à la Susquehannah sur un parcours de 230 kilomètres. Cette entreprise restreinte avait été entamée, en 1852, avec des capitaux insuffisans. Les actionnaires, qui étaient pour la plupart des propriétaires riverains, y fournirent un million de dollars ; les villes que l’affaire intéressait faisaient des prêts d’argent à la compagnie ou prenaient des actions. La législature de l’état accorda même quelques subsides de faible importance. Au dernier moment, quand les directeurs se voyaient à bout de ressources, ils se procurèrent les sommes nécessaires à l’achèvement des travaux au moyen d’un subterfuge assez irrégulier. Il leur restait en caisse 9,000 actions non souscrites ; ils les vendirent au rabais. Enfin au mois de janvier 1869, après dix-sept ans de travail, la ligne de la Susquehannah fut ouverte en son entier, depuis Albany jusqu’à Bingbampton, où elle se soude au chemin de l’Érié. Cette œuvre modeste faisait honneur au président du comité de direction, — M. Ramsey, — qui depuis l’origine avait géré avec intelligence et probité les affaires de la compagnie.

Considérée dans le principe comme une simple route d’intérêt local, la ligne d’Albany à Binghampton avait acquis par le temps