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cahier des charges, il est vrai, fixait un prix limite que la compagnie n’avait pas le droit de dépasser ; mais les tribunaux avaient décidé depuis longtemps que ce maximum ne s’appliquait qu’à ce que nous appelons en France le prix de péage, et que le prix du transport proprement dit n’avait pas délimite légale. En d’autres termes, la Compagnie ne pouvait refuser la circulation sur les rails à quiconque offrait de lui payer le prix du tarif ; elle était maîtresse au. contraire de prélever la rémunération qu’il lui plaisait pour l’usage de ses locomotives et de ses wagons. Le public était donc à la merci des gens qui avaient su monopoliser les moyens ; de transport dont les houillères étaient obligées de se servir.

Si ces aventureux directeurs de chemins de fer, que MM. Adams, flétrissent du surnom de cormorans, ne se gênent pas pour rançonner le public, plus souvent encore ils abusent de la confiance des actionnaires dont les intérêts leur sont remis. Outre la fusion d’entreprises rivales, il est une manœuvre favorite chez les hommes d’affaires américains, qu’ils appellent ingénieusement stock watering, ce que l’on pourrait traduire par ces mots : mettre de l’eau. dans le capital. Qu’une compagnie se trouve trop à l’étroit dans son capital primitif, soit parce qu’elle va atteindre la limite maximum d’intérêt qui lui est allouée, soit parce qu’elle se prépare à fusionner avec d’autres, et qu’elle veut paraître plus riche qu’elle ne l’est en réalité, soit enfin parce que les directeurs, en prévision d’une spéculation à la Bourse, éprouvent le besoin de jeter un grand nombre de titres sur le marché des fonds publics, — en toutes ces circonstances, la compagnie double ou triple simplement le. nombre de ses actions sans que personne ait le droit de s’y opposer. C’est l’une de ces habitudes qui rendent extrêmement difficile de savoir quel est le prix de revient réel des chemins de fer en Amérique. Pour montrer à quel point les comptes apparens des compagnies s’écartent des chiffres de dépenses véritables, voici, suivant MM. Adams, l’organisation financière du grand chemin de fer du Pacifique. C’est à dessein que l’on prend pour exemple cette ligne merveilleuse qui rattache la Californie à la vallée du Missouri. Avant que les travaux ne fussent commencés, l’entreprise paraissait aléatoire au plus haut degré : c’était une loterie. Les directeurs, qui ont eu le talent de faire tourner la chance en leur faveur, méritent assurément d’être récompensés en proportion du risque qu’ils ont couru. On se sent enclin à excuser de leur part des moyens de battre monnaie que l’on condamnerait, s’il s’agissait d’une œuvre moins extraordinaire ; Donc le projet du chemin du Pacifique se présentait au début avec une longueur de 3,200 kilomètres, et. une dépense évaluée à 60 millions de dollars. la compagnie se constituait au capital de