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plus puissans moyens d’action que les Anglais à l’époque de la guerre de l’indépendance. Réduits à la stratégie lente de leurs ancêtres, les hommes du nord n’auraient pu empêcher les États-Unis de se dissoudre en plusieurs confédérations hostiles entre elles et souvent en guerre les unes contre les autres. Aussi bien peut-on dire que les convulsions incessantes dont les républiques de l’Amérique espagnole sont le théâtre cesseront dès qu’un réseau de voies ferrées, traversant ces petits états par trop indépendans, les réunira dans une même pensée d’ordre et de développement.


I

Quoique l’effet apparent des transports rapides soit une tendance à la centralisation, la conséquence nécessaire des chemins de fer aux États-Unis a été de disperser les émigrans dans les plaines immenses du far-west. Comment ces terres, malgré leur fertilité, auraient-elles attiré les pionniers américains, s’ils s’y étaient trouvés dans l’isolement, éloignés des marchés, dépourvus de moyens de transport ? Par le chemin de fer, New-York reçoit les céréales du Missouri ; par la vapeur, Chicago envoie en Irlande les produits de la vallée du Mississipi. Le cercle d’attraction des grands centres de population s’étend à mesure que les communications deviennent plus promptes et moins coûteuses. Ces centres naissent ou se déplacent selon que le commerce s’ouvre de nouvelles routes vers l’intérieur du continent. Il est assez commun de citer Venise comme exemple des effets que produit le déplacement des routes commerciales sur la grandeur et la décadence des villes : l’Amérique du Nord offre de ces résultats des exemples bien autrement surprenans par leur rapidité. La Nouvelle-Orléans, Boston, Charleston, qui étaient des cités de premier ordre, sont descendues au second rang, tandis que New-York est passé en quarante ans de 200,000 à 900,000 habitans, et que Chicago compte aujourd’hui 300,000 habitans sur le terrain marécageux où l’on ne voyait en 1829 que quelques cabanes de pêcheurs. C’est que New-York et Chicago réunissent les deux conditions qui attirent le commerce et le font vivre, un vaste port pour communiquer avec le reste du monde, et vers les terres un réseau de voies ferrées qui s’épanouissent dans tous les sens. De même, à l’intérieur des états, Albany, Pittsburg, Cincinnati, Saint-Louis, sont devenus des entrepôts importans par cela seul que la configuration du sol ou le hasard de la construction y faisait converger les chemins de fer et les canaux.

Aux États-Unis, les chemins de fer ont absorbé la presque totalité des transports ; ils ont dispensé d’établir des grandes routes. A