Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/644

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

New-York les yeux sont littéralement éblouis par ce charme qui n’est pas la grande beauté des madones ni des Vénus, mais qui est le joli par excellence, délicat, brillant, ensorcelant, la grâce des oiseaux, des petits chats, des agneaux et des fleurs, quelque chose d’aérien et de féerique qui vient de la jeunesse. Peu d’entre elles promettent d’embellir encore en avançant dans la vie ; c’est l’éclat fugitif et fragile d’une rose… Quant à leurs manières, elles ont été critiquées trop sévèrement à un point de vue étranger. Il est de la nature même des institutions républicaines de donner une extrême liberté aux femmes : il n’y a pas d’influence de cour ni d’aristocratie qui exerce sa pression sur elles ; l’étiquette n’existe point, la liberté individuelle d’opinion et d’action prévaut dans leurs écoles, elles la respirent dans l’air, chacune fait pour ainsi dire la loi à soi-même, et chacune se sent noble, est à la hauteur de toutes les situations. Si elle ose beaucoup de choses défendues ailleurs, c’est qu’elle est pénétrée de sa toute-puissance ; mais quiconque abuserait de ce laisser-aller apparent s’apercevrait vite que Diane a des armes. »

Mme Stowe a beau nous rassurer, le ton des conversations entre jeunes filles et jeunes gens à l’hôtel Van Arsdel nous semble familier et d’un goût douteux, la flirtation s’appellerait chez nous coquetterie presque effrontée, mais le vertueux Harry ne s’étonne de rien ; il se laisse entraîner dans un tourbillon de crockets, de luncheons, de feux d’artifice, de concerts sur l’eau, de plaisirs variés, dont la seule énumération est fatigante, et l’on s’étonne que dans l’intervalle il trouve encore le temps de discuter avec Éva sur la supériorité des diverses églises et la fameuse question des femmes, qui tient beaucoup trop de place. S’il ne lui parle pas d’amour, c’est que Mme Van Arsdel a pris le soin de l’avertir prudemment que sa fille est engagée à M. Wat Sydney ; mais Éva, qui s’impatiente de ses hésitations et de ses lenteurs, le détrompe un beau soir, et les deux jeunes gens découvrent qu’ils ne peuvent plus vivre l’un sans l’autre. Leurs aveux échangés, il ne s’agit plus que d’obtenir le consentement des parens. Dans notre vieille Europe, c’est souvent une grosse difficulté pour les mariages d’inclination. Voici comment les choses se passent en Amérique.

— Ma mère, dit la timide Éva, j’ai trouvé l’homme que j’aime, et il m’aime, et nous sommes fiancés.

— Que me dites-vous là, enfant ? Je n’aurais jamais cru pareille chose de vous ! Pourquoi ne m’avoir pas parlé plus tôt ?

— Parce que ce n’est que ce matin que j’ai découvert qu’il me désirait pour femme.

— Et puis-je savoir quel est ce fiancé ? demande Mme Van Arsdel d’un ton piqué.