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Amérique, qui ouvre les portes du collège aux jeunes filles comme aux jeunes garçons, afin de continuer l’effet de cette influence mutuelle qui commence dans la famille, chimère irréalisable aux yeux des Européens, mais qui, appliquée à plusieurs académies rurales de la Nouvelle-Angleterre, n’y a produit, assure-t-on, ni désordres ni scandales.

Dans le collège de Harry Henderson, ce perfectionnement, si c’en est un, n’a pas encore été introduit ; l’évangile féminin n’est prêché aux étudians que dans les lettres de leurs mères et de leurs sœurs. Harry, pour sa part, se résigne à cet isolement avec la sagesse qu’il doit aux conseils de son oncle Jacob, un type de médecin campagnard fort original et sympathique. — Puisses-tu, a dit l’oncle Jacob, puisses-tu avoir légères ces maladies de la jeunesse, le doute et les amourettes, inévitables comme la rougeole, mais desquelles on sort sain et sauf quand on a une bonne constitution. Du reste tu n’as pas le moyen de faire des folies ; rappelle-toi que, pour te frayer un chemin, tu ne possèdes que tes bras et ta tête. Garde donc celle-ci aussi saine et ceux-là aussi robustes que possible. — Mais par une belle matinée de juin, par un de ces radieux dimanches qui mettent en déroute la plus solide philosophie, Harry fait à l’église une rencontre qui renverse ses plans de conduite.

Malgré le dédain de l’oncle Jacob pour les élucubrations littéraires qui lui ont été soumises, Harry est poète, et la voix du prédicateur, qu’il paraît écouter avec recueillement, n’empêche pas son imagination de vagabonder. Tout à coup une figure inconnue passe devant lui, détachée sans doute du monde de visions qu’il évoque, car sa beauté s’entoure d’un nimbe angélique. Miss Ellery n’a pourtant rien de commun avec les anges ; c’est une demoiselle de Portland, bien élevée, aussi froide que coquette, venue en visite chez des amis. Cette famille est justement une de celles qui ont accueilli avec bienveillance Harry Henderson — par un privilège que lui vaut sa conduite exemplaire. Il obtient sans peine d’être présenté à la radieuse apparition, et prend pour de la sympathie le genre d’attention que lui accorde cette séduisante personne. Miss Ellery aime à être adorée : elle reflète, ainsi qu’un lac paisible, les goûts, les opinions de Harry, et, jusqu’à un certain point, les transports de son imagination et de son cœur ; mais, de même que le lac ne reflète que les objets présens, et à leur défaut sert de miroir au premier venu qui les remplace, elle l’oublie vite, après avoir reçu ses sonnets avec des rougeurs pleines de promesse et soupiré à son bras dans leurs longues promenades sous le ciel étoilé des nuits de printemps. Il l’a aidée à passer les quelques semaines de son séjour dans une résidence maussade ; quant à d’éternelles amours avec un pauvre étudiant, la raison lui défend d’y