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lesquelles Rome régla le monde. Espérons qu’un jour viendra où la présence non plus d’Égérie, mais de Marie, le type par excellence de la maternité chrétienne, se fera sentir dans toutes les lois et toutes les institutions de la société. — (Il est à remarquer qu’un courant nouveau de dévotion ramène, depuis quelques années, nombre de protestans, et surtout de protestantes, au culte de la Vierge.)

Le souvenir de Susie aidant les leçons de la meilleure des mères, Harry se pénètre, tout enfant, de ses devoirs envers sa femme future. C’est pour elle qu’il étudie, qu’il peine, qu’il épargne. — L’idée de ce qu’elle penserait me fit fermer plus d’un livre que nous n’aurions pu lire ensemble, son image se dressa entre moi et plus d’une voie mauvaise dans laquelle s’égare volontiers le jeune homme, en laissant son ange gardien derrière lui ; j’abjurai les intimités qu’elle eût réprouvées ; ce fut mon ambition de conserver le temple de mon cœur digne de la recevoir enfin, et à jamais. — Elle restera ainsi son guide et sa patronne jusqu’au jour où nous la verrons s’incarner sous la forme accomplie d’Éva Van Arsdel ; mais auparavant il a cru la rencontrer plusieurs fois, cette moitié de lui-même qui doit exister quelque part et doit être découverte quelque jour. Sa première déception sera la plus cruelle.


II

Harry a quitté le foyer, qui n’est plus le foyer paternel, car son père est mort comme il a vécu, avec le sentiment que, s’il avait cent vies à vivre, il les consacrerait toutes à la même tâche. Le voici installé dans un de ces collèges de la Nouvelle-Angleterre, si différens des nôtres. Le jeune citoyen passe de l’école mixte à l’indépendance d’un grand centre d’instruction où chaque étudiant est obligé de subvenir à ses propres besoins, de meubler sa chambre, de régler sa dépense. Est-il pauvre, on lui permet de consacrer trois mois d’hiver à l’enseignement ; de cette façon, il s’instruit tout en aidant à instruire les autres, et il acquiert une précoce maturité en appréciant la valeur de l’argent gagné. L’époque où l’Américain entre au collège est en réalité celle de son début dans le monde ; il n’est plus un enfant, mais le commencement d’un homme. Peu de relations existent entre les gens de la petite ville et les étudians ; ceux-ci sont traités comme une tribu de bédouins. Le fait est que les défauts d’une république sans femmes doivent se retrouver parmi ces jeunes sauvages. C’est du moins l’avis de mistress Stowe ; loin de blâmer trop sévèrement leurs folies et leurs grossièretés, elle s’étonne plutôt que les toits ne sautent et que les vitres n’éclatent pas sous l’action combinée de tant de forces qui fermentent. Aussi approuve-t-elle tout à fait le système fort discuté, même en