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petite table ; le soir, quand il voudrait rester à écouter l’intéressante conversation des galans de ses sœurs : — Maman, n’est-il pas temps pour Harry d’aller au lit ? — demandent ces demoiselles, empressées à se débarrasser d’une paire d’oreilles grandes ouvertes. D’autre part, toutes les commissions ennuyeuses lui sont confiées.

— Ce n’est qu’un garçon ! Il peut courir là, faire ceci, attendre.

— Bref, Harry deviendrait presque un souffre-douleur dans cette maison active et bruyante comme une ruche, où il n’a pas de compagnon, si sa mère ne prenait la sage résolution de l’envoyer à l’école.

— Je partis pour l’école avec un tablier propre serré autour du cou, un petit panier qui renfermait mon déjeuner, et un morceau de toile bise sur lequel je devais apprendre à coudre. Je partis tremblant et rougissant, avec une peur terrible des grands garçons qui ne pouvaient manquer de me taquiner ; mais dès ce premier jour je fus heureux, car je rencontrai ma femme Susie. Une si jolie petite créature ! Je la vis d’abord sous la porte de l’école. Ses joues, son cou, étaient comme de la cire, ses yeux d’un bleu clair, et, quand elle souriait, deux mignonnes fossettes se creusaient dans ses joues. Elle portait une fraîche robe de guingamp rose ; sa mère, dont elle était l’enfant unique, l’habillait toujours avec coquetterie. — Susie, ma chère, dit maman, qui me tenait par la main, je t’amène un compagnon. — Avec quelle grâce elle me reçut, cette petite Eve ! Elle fut tout sourire pour l’Adam lourd et maladroit qu’on lui présentait, me fit asseoir auprès d’elle, et, passant son bras blanc autour de mon cou, posa l’alphabet devant moi. — Où en es-tu ? demanda Susie. — Ma mère avait été une bonne institutrice, et les yeux de la petite fille exprimèrent un mélange de surprise et de respect quand je lui appris que j’étais beaucoup plus avancé qu’elle. — Oh ! mon Dieu, cria-t-elle à ses compagnes, figurez-vous qu’il lit dans les livres ! — Je fus élevé bien haut dans ma propre opinion ; deux ou trois de ces jeunes personnes me regardèrent avec une estime évidente.

— Ne veux-tu pas être de notre côté ? dit Susie d’un air engageant ; je vais demander à mademoiselle de le permettre, parce qu’elle dit que les grands garçons tourmentent toujours les petits. — Elle s’approcha de mademoiselle, dont elle était la favorite, et obtint que je fusse placé sur son banc, où je m’assis balançant mes talons dans le vide et ressemblant fort à un moineau encore mal pourvu de plumes, tout nouvellement poussé hors du nid et fixant sur le monde un premier regard de ses yeux ronds effarés. Les grands se moquèrent de moi, me firent d’horribles grimaces, me lancèrent des boulettes de papier ; mais je me serrais contre Susie