Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/614

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je pouvais, d’accord avec le roi de Naples et quelques autres grands personnages pleins de zèle pour l’honneur de l’église romaine. Le pape qui, eût-il été innocent, aurait dû se purger de tant de griefs, surtout d’hérésie, ou du moins s’amender, qui aurait dû aussi, quand même il n’en eût pas été requis, offrir la convocation d’un concile général, le pape, qui avait la conscience de ses crimes et s’endurcissait dans ses perversités, refuse le concile, ne se purge pas d’hérésie, et s’échappe comme un vrai fou en injures, en calomnies, en blasphèmes. Boniface se constitua ainsi à l’état d’incorrigible sans excuse, de contumace manifeste, et, vu la législation particulière du cas d’hérésie, à l’état d’hérétique, et, pour tous les autres crimes, à l’état de convict et confès. Son dessein arrêté était de détruire la France ; il en avait commencé l’exécution par ses bulles du 15 août 1303, et il se proposait de l’achever le 8 septembre, jour de la Nativité. Il n’y avait pas un seul cardinal qui osât lui résister à cause de la terreur qu’il inspirait. Selon l’ordre ordinaire de la discipline ecclésiastique, c’eût été aux princes séculiers de défendre contre lui l’église de Dieu. Nul ne l’osait, quoiqu’on les en eût requis. Le cas était pressant, le pape voulait tout ruiner, Français, Romains, Toscans, gens de la campagne de Rome. Il avait chassé de l’église les cardinaux Colonnes, personnes éminentes, brillant comme des flambeaux dans l’église de Dieu, parce qu’ils réclamaient la convocation d’un concile.

« Considérant tout cela, ajoute Nogaret, me rappelant les exemples des pères, sans me dissimuler ce que ma tentative avait de désespéré, je pris le parti, au péril de ma vie, de m’opposer comme un mur plutôt que de tolérer de si grands outrages infligés à Christ. Requis donc plusieurs fois et légitimement de me lever bien vite au secours de l’épouse du Christ, je m’armai de l’épée et du bouclier, non avec des étrangers, mais avec des fidèles et des vassaux de l’église romaine, pour venir au secours de cette église, résister ouvertement à Boniface et prévenir les scandales qu’il s’était proposés. Ayant appelé les nobles et les barons de la campagne de Rome, qui m’avaient choisi pour capitaine et pour chef, en vue de la défense de ladite église, j’entrai dans Anagni la veille de la Nativité de la sainte Vierge, avec la force armée desdits nobles. Je demandai aux Anagniotes, à leur capitaine, à leur podestat, de me fournir aide pour l’intérêt de Christ et de l’église leur mère. À ces mots, les citoyens d’Anagni, auxquels appartient le gouvernement et la juridiction de leur propre ville, se joignirent à l’entreprise. Leur capitaine et les plus notables, portant toujours avec eux ostensiblement l’étendard de l’église romaine, m’assistèrent personnellement pour accomplir l’œuvre de Christ. Nous voulions aborder pacifiquement Boniface et lui exposer la cause de notre venue ; mais