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l’empoisonnement de Benoît. Ce qui est fâcheux, c’est qu’en nous présentant la mort du pape comme un signe évident de la vengeance divine, protectrice de son innocence, il ait donné un véritable corps aux soupçons. Cette coïncidence, notée par Nogaret lui-même, a quelque chose de suspect ; il n’est pas bon de lire si bien dans les jugemens de Dieu, quand il s’agit de la mort d’un ennemi. Ce qui paraît assez vraisemblable, c’est que le crime fut l’ouvrage de Rainaldo ou de Sciarra, qui étaient perdus, si Benoît passait outre, depuis quelque temps, le pape se défiait d’un empoisonnement et faisait faire l’essai de tous ses mets. On déjoua, dit-on, ses précautions en habillant en religieuse un jeune garçon, qui se présenta comme tourière des sœurs de Sainte-Pétronille, tenant un bassin d’argent plein de belles figues qu’il offrit au pape de la part de l’abbesse, sa dévote. Le pape les reçut sans défiance, parce qu’elles venaient d’un personne renfermée, en mangea beaucoup, et mourut.


II

La mort de Benoît XI sauva Nogaret. Malgré sa douceur, ce pape n’aurait pu éviter de prononcer une condamnation sévère. La mort du pontife accusateur laissait au contraire Nogaret dans une situation juridique favorable. Il était simplement assigné ; il n’avait pas été condamné, ni même entendu. Pour un légiste subtil, il y avait là matière à des chicanes sans fin. Nogaret affecta de ne rien savoir de la procédure de Pérouse, parce qu’il n’en avait pas reçu copie, s’étonna beaucoup de l’ignorance de Benoît, qu’il qualifia de crasse, alla trouver officiellement le roi, et lui remit un nouveau mémoire justificatif. Le roi se retrancha encore derrière une exception tirée de ce que la cause intéressait la foi. Nogaret, malgré toutes ses habiletés, était rejeté dans le for ecclésiastique ; il vit qu’il ne pouvait être sauvé que par une absolution d’église. La vacance du saint-siège, qui s’étendit de la mort de Benoît XI (7 juillet 1304) à l’élection de Clément V (5 juin 1305), semblait lui offrir une belle occasion pour obtenir ce qu’il désirait.

Grâce à la faveur royale d’ailleurs, jamais anathèmes ne furent si faciles à porter que ceux que le crime d’Anagni avait attirés sur Nogaret. Les récompenses du roi venaient en foule à l’excommunié. Nous avons vu que les 300 et les 500 livres de rente, dont le roi lui fit don en mars 1303 et en février 1304, étaient à prendre sur le trésor de Paris en attendant qu’elles fussent assignées sur des terres. Le roi exécuta la conversion de la première rente par