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existe une nationalité serbe. Cette nationalité saura reconnaître, dans les débris qui joncheront alors le sol, les membres épars qui lui appartiennent. Est-ce à la Servie ou au Monténégro que sera réservé l’honneur de les réunir ? Il importe peu ; ce que doit avant tout désirer cette intéressante tribu de la famille slave, c’est qu’il se trouve quelque part un centre assez puissant pour attirer à lui et pour retenir associés les élémens d’une grande confédération indépendante.

Les voies de la Providence sont mystérieuses, et il lui plaît souvent d’ajourner ses desseins. L’heure de la renaissance devait être sans doute retardée pour les Serbes, car les hommes qui semblaient avoir été appelés à diriger, en Servie aussi bien qu’au Monténégro, le grand mouvement de la rénovation sociale, le prince Danilo et le prince Michel, voyaient à quelques années d’intervalle leur destin abrégé par d’odieux attentats. Que les Serbes y prennent garde, leur histoire jusqu’ici n’a été que l’histoire de leurs dissensions. Il leur faut introduire plus de discipline dans les esprits, plus d’union dans les cœurs. Leur avenir se fermerait brusquement, s’il se rencontrait encore parmi eux des Vuk Brankovitch. On peut douter heureusement que le meurtre du prince Danilo ait été l’effet de quelque instigation politique. C’est un avantage que le Monténégro paraît encore avoir eu sur la Servie. Le 11 août 1860, le prince était à Cattaro avec sa jeune femme. Une barque l’attendait près du quai, il y avait déjà fait embarquer la princesse et allait y descendre lui-même, quand un Monténégrin écarta violemment les gardes, et, à brûle-pourpoint, lui tira un coup de pistolet dans les reins. Le prince chancela ; ce furent les bras de sa femme qui le reçurent. L’assassin avait profité du premier moment de stupeur pour s’enfuir. On parvint à le rejoindre. Il ne fit aucune révélation. A l’occasion de je ne sais plus quel méfait, le prince l’avait exilé. C’était du juge, non du prince, qu’il avait voulu tirer vengeance. Quoique la balle eût brisé l’épine dorsale, l’agonie se prolongea pendant vingt-quatre heures. La princesse Darinka montra un grand courage et une résolution dignes du rang qu’elle occupait. Son neveu, le prince Nicolas, qu’elle avait tenu à faire élever en France, était heureusement auprès d’elle en ce terrible moment. Elle mit sur sa tête le bonnet du prince Danilo, et l’investit ainsi du pouvoir suprême ; puis elle reprit le chemin de Cettigné, suivant à pied le cercueil qui renfermai ? les dépouilles mortelles de son époux. Le prince Nicolas était le fils unique de Mirko. L’influence dont jouissait ce valeureux homme de guerre eût fait rentrer sous terre tous les compétiteurs, s’il s’en était présenté. Le Monténégro n’en subit pas moins les conséquences déplorables de la catastrophe. Une