Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/597

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cettigné d’un des chirurgiens de l’Algésiras, nous devions visiter les blessés de Grahovo, et cet habile opérateur s’était promis de leur offrir ses services ; mais jamais un Monténégrin ne consentirait à subir une amputation : la mort lui paraîtrait cent fois préférable. Couchés près du foyer, dans une cabane enfumée où l’on respirait à peine, gisaient sur le sol nu de nombreux blessés que dévorait la fièvre. Les uns avaient eu la cuisse, d’autres le bras brisé par une balle ; la nature les a probablement guéris sans qu’aucun médecin les pansât. Un grand et beau jeune homme découvrit devant nous son épaule fracassée. Il se tenait debout pendant que le vieux praticien de village enlevait soigneusement avec une pince d’acier les esquilles que la suppuration amenait à la surface de la plaie. Le blessé supportait ce supplice sans proférer une plainte ; quelquefois seulement un nuage passait sur son front et trahissait l’intensité de la souffrance. « Comment allez-vous ? demandions-nous à ces malheureux. — Bien, répondaient-ils, si le prince est sain et sauf. » Ce qui est dans le cœur de tous les sujets, il était peut-être inutile de le mettre dans les lois. On a jugé cependant qu’il serait bon de l’y faire figurer, ne fût-ce que pour le cas où le sentiment du respect viendrait à s’affaiblir dans la Montagne-Noire. Tout Monténégrin, « petit ou grand, » doit donc, pour se conformer aux lois, « aimer et respecter ses chefs, ses juges et les vieillards ; il doit leur témoigner toute son estime. Celui qui parlerait mal du prince ou de ses actes serait puni comme un meurtrier. »

Quelques articles règlent les héritages, d’autres assurent les droits de l’autorité paternelle. Il en est qui sont destinés à intimider les calomniateurs. Prouver ce qu’on s’est permis d’avancer n’est pas au Monténégro chose facile. L’avantage, dit la loi, devra rester à celui des deux adversaires qui présentera le plus de gens de bien prêts à jurer pour lui. Nous avons dit déjà quelles mesures tutélaires avaient été prises pour préserver les jeunes filles de la contrainte morale que trop souvent on leur faisait subir. Ce n’est pas la seule disposition qui tende à relever la femme de sa condition d’infériorité. Les divorces, dont on faisait le plus scandaleux abus, ont été interdits, à l’exception de ceux qu’autorise l’église orientale. Il n’est pas jusqu’aux veuves dont l’état ne se soit occupé. Le code de Danilo leur prescrit de ne plus se déchirer le visage avec les ongles, et leur interdit la consolation de se défigurer ainsi pour longtemps. Quant à l’église, la loi n’a fait qu’une légère incursion dans son domaine, incursion vraiment indispensable. Le sacerdoce était devenu chez les Monténégrins une fonction presque héréditaire ; les devoirs en étaient parfois singulièrement négligés. Il était de ces lévites qu’on rencontrait beaucoup plus souvent sur le champ de bataille que dans le temple. Le pope Juro, — pour n’en citer