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puissances étrangères. C’était avec ces ressources qu’il se procurait des armes, qu’il accumulait des munitions, qu’il achetait dans les années de sécheresse le blé nécessaire aux semences, qu’il faisait des largesses au peuple, et payait, la dotation des sénateurs. Le traitement de chacun de ces hauts dignitaires. Avait été fixé à 200 francs par an, somme peu considérable sans doute, mais en rapport avec un budget qui ne dépassait pas alors 300,000 francs.

Longtemps le Monténégro avait vécu sans lois, la coutume était le seul code qu’on y invoquât. Le 22 avril 1855, le peuple apprit par une proclamation du prince à quelles prescriptions il devrait désormais se soumettre, et sur quel texte écrit il serait à l’avenir jugé. Quatre-vingt-treize articles avaient suffi au législateur pour fixer la tradition, et sur quelques points pour la réformer. La loi de Dieu est plus brève encore, mais elle est aussi moins indulgente. Ce qui avait grossi le code monténégrin, c’étaient les ménagemens qu’il avait fallu garder avec certains préjugés séculaires. « Tu ne tueras pas, » est un précepte sans doute indispensable, mais sur lequel il importe cependant de s’entendre. « Celui qui donnera la mort à un autre Monténégrin, disait le code promulgué à Cettigné, ne pourra être absous au prix d’aucune somme ; il sera pris et fusillé. » Voilà le principe ; voici maintenant les tempéramens : « si l’on a une vengeance à exercer, on ne peut tuer les parens du meurtrier lorsqu’ils n’ont pris aucune part au meurtre, mais on peut frapper l’assassin ; on peut se battre en duel, pourvu qu’on n’appelle pas une partie de la population à son aide. « Quant aux mandataires de la justice, il leur est spécialement recommandé de ne pas se laisser entraîner par leur zèle et d’avoir soin, dans le rigoureux exercice de leurs fonctions, « de ne pas tuer des innocens. » La mort paraît être d’ailleurs aux yeux du législateur monténégrin le seul accident de quelque gravité. Pour avoir estropié son frère, l’amende varie de 50 à 100 talaris ; pour lui avoir cassé la tête ou lui avoir crevé un œil, il en faut payer 60 ; on ne peut le frapper sans motifs soit avec le pied, soit avec la pipe, on s’exposerait à sortir de son escarcelle 50 sequins d’or. Si celui que vous auriez frappé vous tuait à l’instant, la justice monténégrine n’aurait rien à y voir. Le meurtrier ne doit être poursuivi que s’il attend un ou deux jours pour donner cours à sa rancune. Voilà donc pourquoi les Monténégrins se refusent si obstinément à déposer leurs armes, soit dans les conseils, soit dans les festins. Il est assez naturel qu’on tienne à avoir sa vengeance sous la main, quand il y a de si sérieux inconvéniens à la différer.

Pour s’expliquer le peu de cas que les Monténégrins semblent faire d’une blessure, il suffit d’avoir vu avec quelle facilité se guérissent celles qu’ils ont reçues. Je m’étais fait accompagner à