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courant de la marche rapide des idées en Italie et en Allemagne. Ce fut là une des principales causes de ses méprises et de l’avortement de ses plans. Il n’avait vu que de loin la grande crise de 1848 ; il était demeuré étranger au travail latent qui l’avait suivie, et ne se rendait pas compte du progrès des idées unitaires. Il est même incertain que Napoléon III ait jamais nettement compris le lien qui rattache l’unité d’un peuple à son indépendance, et la force qui pousse les nations de l’une à l’autre. Quand il encourageait les principautés roumaines à l’unité, il ne semblait guère prévoir qu’un tel exemple pût être bientôt imité par des peuples plus considérables. La promptitude, la facilité de l’unification de l’Italie et de l’Allemagne devait être pour lui une surprise. Dans les deux pays, ses vues, déjà vieillies, devaient être dépassées, sa politique débordée. Il en était resté à l’Allemagne et à l’Italie de sa jeunesse, comme d’autres politiques plus âgés en sont toujours demeurés à la rêveuse Germanie et à l’indolente Italie du commencement du siècle. Les idées avaient marché depuis le temps où s’étaient formés, sous l’influence des méditations de Sainte-Hélène et des libéraux français, les rêves du prisonnier de Ham. Lorsqu’il eut les moyens, l’heure de l’exécution était passée. Ces plans de reconstruction européenne au profit de l’agrandissement de la France d’accord avec les peuples voisins étaient d’une réalisation facile au début du siècle. Vers 1830, de pareilles combinaisons eussent encore eu des chances d’être agréées des peuples intéressés, et les lettres de lord Palmerston font croire que le gouvernement de juillet ne fut point sans y songer. La Belgique offrait de se donner à Louis-Philippe ; les provinces du Rhin elles-mêmes hésitaient encore entre leurs sympathies pour la France libérale et les souvenirs de leur origine germanique. En 1848, il était déjà trop tard pour toute combinaison de ce genre ; qu’était-ce donc sous le second empire ? A moins de se contenter de modestes rectifications de frontières, ces plans d’acquisition pacifique et libérale étaient devenus un anachronisme. En dehors de la Savoie, la France ne pouvait obtenir que d’insignifiantes compensations : du côté de l’Allemagne, tout accroissement important n’eût été qu’une conquête brutale et précaire comme celle de l’Alsace par la Prusse.

Au lieu d’être disposés à nous faire des sacrifices, nos voisins se trouvaient autant de droits que nous à faire tourner la reconstitution de l’Europe au profit de leur grandeur. Leurs hommes d’état faisaient des calculs analogues à ceux de Napoléon III. Chacun avait ses plans pour le renouvellement de l’Europe, chacun comptait s’en servir pour faire une plus large place à son pays. L’idée était si naturelle qu’elle se retrouvait partout, chez les peuples comme