Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/572

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moins les peuples que leurs élémens révolutionnaires. Grâce aux délégués ouvriers des différens pays, elles devenaient le point de départ de cette Association internationale des travailleurs que l’empire était obligé de poursuivre après en avoir paru encourager les débuts. La liberté de la presse et le droit de réunion ne faisaient que fomenter les passions antisociales, et, dans leur effroi, nombre de conservateurs naïfs et de fonctionnaires ignorans en venaient, pour se sauver de la démagogie, à souhaiter une puissante diversion extérieure, sans voir qu’au lieu de la lui fermer une grande guerre pouvait ouvrir la porte à la révolution.

Les plans de Napoléon III n’avaient guère mieux réussi avec l’armée, qui avait été l’instrument de son élévation, et qui, devant le flot montant du socialisme, demeurait plus que jamais sa sauvegarde. Lorsqu’elle semblait tendre à se rapprocher de la Prusse, la politique impériale rencontrait dans l’armée plus de répugnance encore que dans la nation. Pour le général et l’officier, la guerre est une carrière, un métier, la paix un chômage. Tant que les plans de l’empereur lui donnèrent de l’occupation, des campagnes, de l’avancement et des honneurs, l’armée peu préoccupée des causes pour lesquelles elle se battait, se montrait satisfaite. Était-il question de désarmement, de politique modeste et pacifique, elle ne cachait pas son mécontentement ; ce n’était point là ce qu’elle attendait d’un Napoléon. Les victoires de la Prusse sur l’Autriche, l’arrogance des généraux de Berlin, ne pouvaient manquer de blesser l’amour-propre d’une armée habituée à se regarder comme sans rivale. A la cour impériale comme dans les casernes, une guerre sur le Rhin devint le rêve de tout ce qui était militaire, de tout ce qui se piquait de patriotisme. Avec une folle infatuation, avec une présomptueuse ignorance de sa propre faiblesse et des forces de l’Allemagne ; l’armée, toujours avide de se distinguer, demandait à se mesurer avec ces orgueilleux Prussiens, comme s’il ne se fût agi que d’un assaut de salle d’armes. Elle appelait avec passion cette guerre où, en dépit de son héroïsme, elle devait tout entière tomber aux mains de l’ennemi, et où tant de ses généraux les plus populaires devaient laisser leur réputation, si ce n’est leur honneur.

Aux illusions militaires se joignaient en France les illusions diplomatiques, plus dangereuses peut-être encore. On s’imaginait que toute l’Europe éprouvait pour le rapide accroissement de la Prusse et l’arrogance des hobereaux de Brandebourg les mêmes appréhensions, la même antipathie que la France. On ne voyait point que le plan impérial avait encore plus mal réussi au dehors qu’au-dedans, que l’idée napoléonienne avait soulevé chez les