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et à l’avenir le soin de trancher les questions qu’il avait peur de décider. Il n’osait point aller jusqu’au bout de ses propres entreprises. Partout, en Italie, en Allemagne, en Orient, il entamait les questions sans les résoudre, satisfait de replâtrages précaires, comme la ligne du Mincio ou celle du Mein, comme la réduction de la royauté temporelle des papes au domaine de Saint-Pierre. Il redoutait les solutions trop brusques et radicales, et, en voulant ménager des transitions entre le passé qu’il avait aidé à détruire et l’avenir dont il se méfiait, il prolongeait, sans le calmer, le malaise du changement. Il avait un certain esprit de conciliation, parfois affecté, souvent sincère ; il se plaisait à jouer entre les causes ou les partis rivaux le rôle d’arbitre, de juge d’une impartialité olympienne, comme un dieu qui accommoderait les différends des hommes. C’était une partie de ce métier de césar qu’il étudiait sans cesse. Qu’en résultait-il ? Qu’il perdait sa peine à travailler à la conciliation de causes irréconciliables, comme de l’unité italienne et de la royauté des papes, et qu’en voulant tenir la balance égale entre deux partis il se les aliénait également. Il était très préoccupé de l’opinion publique, et se piquait d’en tenir compte. Il lui accordait assez volontiers l’influence qu’il disputait aux chambres ; mais cette tendance même ne fut qu’un péril de plus. Tantôt il prétendait diriger l’opinion et tantôt la suivre ; l’abandonnait-elle dans la voie qu’il lui avait ouverte, il reculait ; aux jours de fièvre, il était peu fait pour résister à ses emportemens. Cédant tour à tour aux diverses manifestations de l’opinion, Napoléon III se donnait la tâche impossible d’en satisfaire les nuances opposées. Il avait une oreille ouverte pour chaque parti : l’une était aux cléricaux, l’autre aux démocrates ; l’une à M. Rouher et aux défenseurs du statu quo, l’autre à M. Ollivier et aux fauteurs du progrès constitutionnel ; celle-ci aux amis de la paix, celle-là aux partisans de la guerre. En encourageant les uns, il prenait à tâche de ne point enlever tout espoir aux autres. De là cette politique « qui, sur chaque question, avait au moins deux portes pratiquées, qu’elle n’ouvrait jamais tout à fait, mais qu’elle entr’ouvrait discrètement de temps à autre[1]. » Les ménagemens pour les partis de l’intérieur empêchaient la solution des questions extérieures, et, pour ne point froisser les opinions du dedans, le gouvernement impérial, embarrassé de choisir entre elles, maintenait la France et l’Europe dans un état de périlleuse incertitude.

Un autre trait du caractère complexe de Napoléon III pouvait contribuer à sa perte après avoir contribué à sa grandeur. En dehors de ses tendances utopistes, inspirées à la fois de l’abbé de

  1. Discours de M. É. Ollivier dans la séance du corps législatif du 9 décembre 1867.