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prendre un parti soudain et imprévu, en sorte que, dans les soubresauts de cette politique d’hésitation agitée, il est difficile de distinguer les coups de tête des résolutions longuement préméditées. Il n’est même point impossible que, dans la plupart de ses entreprises, il y ait eu de l’un et de l’autre à la fois. Tantôt on eût dit qu’avec une prudente défiance de soi-même il cherchait par une brusque détermination à couper court à toute nouvelle irrésolution ; tantôt au contraire, par une sorte de prévoyante complaisance pour ses incertitudes futures, il paraissait se réserver à dessein les moyens de revenir sur ses pas.

Pendant longtemps, ces perpétuelles hésitations, suivies de décisions subites, furent prises pour des feintes habiles. L’obscurité des vues passait pour une dissimulation savante, le silence de l’irrésolution pour de la profondeur. Froid et taciturne, l’empereur cachait ses doutes sous une apparence méditative. Il était de ces hommes qui par réflexion apprennent à tirer parti des défauts qu’ils ne peuvent corriger ; il semble même qu’il s’en soit fait un moyen de tenir sur le qui-vive la France et l’Europe, toujours inquiètes de projets qu’elles ne pouvaient deviner, et par là de toujours les occuper de sa personne. A la fin, le monde se lassait d’attendre l’exécution de ces grands desseins qui ne se montraient point. Les tâtonnemens devenaient trop fréquens, les contradictions trop graves pour ne point dessiller les yeux qui ne demeuraient pas volontairement fermés. Dans les dernières années, un homme qui devait être le chef de l’avant-dernier ministère de l’empire définissait cette politique d’oscillation systématique l’entêtement dans l’indécision[1]. Si au travers de ces ombres on distinguait encore quelque chose, c’étaient, selon l’expression d’un critique qui siégeait au sénat, des aspirations plutôt que des desseins, des visées plutôt qu’un but, des velléités au lieu de volontés[2].

Par une perversion fréquente, quelques-unes des qualités de Napoléon III secondaient son défaut dominant, et, grâce à lui, devenaient une cause de plus d’erreur et de péril. Il était naturellement doué d’un certain esprit de modération, enclin à se tenir pour satisfait, au moins pour un temps, d’un demi-succès, au lieu de prétendre tout arracher à la fois à la fortune. Cette qualité le disposait à s’arrêter à moitié route, à se contenter de termes moyens qui avaient les inconvéniens sans les avantages d’une solution. Patient et habitué à compter sur le temps, auquel il devait beaucoup, il irritait, en la voulant contenir, l’impatience d’autrui. Il s’accommodait trop aisément du provisoire, et laissait volontiers à la fortune

  1. Discours de M. É. Ollivier dans la séance du corps législatif du 9 décembre 1867.
  2. M. Sainte-Beuve, dans un fragment écrit à propos de la Vie de César par Napoléon III. Nouvelles Causeries du lundi, t. XIII.