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formant une sorte de république fédérative, ayant pour centre la France agrandie, et pour lien la puissante chaîne du libre échange ; des expositions universelles où se visitent périodiquement les peuples ; des congrès européens où, après un désarmement simultané, les gouvernemens règlent en paix leurs affaires ; Paris, la cité impériale, prodigieusement embelli, devenu une sorte de capitale universelle, de métropole de la richesse et de l’intelligence, où, sous les ailes de l’aigle napoléonienne, les deux mondes trouveraient tout ce que la science a de découvertes, tout ce que l’art a d’éblouissant et de délicat, tout ce que la civilisation a de luxe et de raffinement ! tel était dans son ambitieuse présomption le songe impérial, sorte d’idéal césarien approprié à l’industrialisme moderne. Tout ce que notre civilisation a de besoins et d’aspirations y avait sa place et son heure marquée, tout jusqu’au superflu, à la liberté, que le second empereur, ainsi que le premier, se promettait de rappeler sur la scène alors qu’elle n’aurait plus qu’à applaudir[1].

Il n’y a pas un trait de cette vision de saint-simonien couronné dont on ne retrouve les traces dans ce que le second empire a fait ou a tenté, dans ses succès ou dans ses avortemens. Rêve enivrant ! écrivait Louis-Napoléon dans sa jeunesse devant les révélations de Sainte-Hélène[2] ; rêve enivrant et fatal pour celui qui, s’en étant épris, devait rester impuissant à lui donner une forme pratique, et ne savoir ni le poursuivre ni l’abandonner ! Comment tout ce songe grandiose a-t-il abouti à l’humiliation de Sedan et à la misérable journée du 4 septembre ? Comment ce plan, déjà exécuté à demi, a-t-il amené au démembrement de sa propre nationalité la France, qu’il devait agrandir ? Pourquoi cette reconstitution de l’Europe, commencée par nous au nom du droit des peuples, a-t-elle été par la Prusse achevée dans l’oppression du principe qui l’avait provoquée et la devait diriger ?


III

Les brillantes images qui avaient ébloui l’imagination du jeune exilé conservèrent toujours chez le souverain quelque chose de vague et d’indécis. Un seul point était nettement déterminé, l’agrandissement de l’empire français grâce à la reconstitution de l’Europe par nationalités. Pour le reste, c’est-à-dire pour le plus important, pour les moyens, pour l’exécution, rien n’était arrêté. Avec une sorte d’apathie, l’empereur s’en remettait aux circonstances pour donner une forme à ses rêves ou leur ouvrir de nouvelles

  1. Cette place réservée à la liberté à l’heure où elle serait devenue inoffensive est indiquée plusieurs fois dans les Idées napoléoniennes, p. 9, 41, 42, 44, 162, etc.
  2. Idées napoléoniennes, p. 162.