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du suffrage universel pour le regarder comme un instrument parfait et infaillible. Qu’est-ce donc du plébiscite, la forme la plus défectueuse du suffrage universel, du plébiscite qui légifère à un seul degré sans information ni discussion ? Pourtant, si un tel procédé est quelque part à sa place, c’est dans la détermination d’une patrie. Sur la nationalité, les plus ignorans sont aussi sûrs d’eux-mêmes que les plus instruits. Les peuples ne se trompent pas quand ils se donnent à eux-mêmes le nom d’Allemand ou de Français. En dehors de quelques districts de situation indécise, que l’histoire a ballottés d’une nation à l’autre sans qu’ils aient fait corps avec aucune, on reconnaît sa patrie et on ne la choisit pas. La Prusse aurait en vain fait appel au vote populaire de l’Alsace, la France à celui de Cologne.

Le principe de la nationalité une fois admis, il faut bien, dans les cas contestés, un moyen pratique de la déterminer, et, comme la nationalité réside dans la conscience, il n’en est d’autre qu’un vote direct ou représentatif. C’est aux intéressés, à ceux qu’on enlève à un état pour les joindre à un autre, c’est à eux tous et à eux seuls de déclarer à quelle nation ils se sentent appartenir. Ce n’est ni à la géographie, ni à l’histoire, ni à la race, ni à la langue ; car, si toutes contribuent à former les nations, elles sont parfois en désaccord entre elles. Ne laissons pas subsister la confusion jetée à dessein sur cette grave question par nos ennemis. Prétendre, ainsi que les Allemands, déterminer la nationalité par des considérations d’ethnologie, de linguistique, d’archéologie, en dehors de la conscience des peuples et malgré elle, c’est faire œuvre de violence et rentrer hypocritement dans le vieux droit de conquête, comme l’a fait la Prusse dans le Slesvig du nord et dans notre Alsace. Entendu ainsi, le mot de nationalité n’est qu’un mensonge pédantesque mis au service de la brutalité du plus fort. C’est, sous le même nom, tout l’opposé du principe généreux qui a si longtemps fait battre le cœur de la France pour les peuples asservis, et d’où les rêveurs espéraient, avec une égale indépendance pour chaque nation, une paix perpétuelle.

Napoléon III s’en étant remis au suffrage universel du soin de constater la nationalité, il devait lui demander la solution de toutes les compétitions territoriales. Aussi, après chacune des guerres qui troublèrent l’Europe sous son règne, s’efforça-t-il d’obtenir du suffrage la consécration des nouvelles circonscriptions des états. Après la guerre de Crimée, ce fut en Roumanie pour l’union des principautés de Valachie et de Moldavie ; après celle d’Italie, en Savoie et à Nice pour leur annexion à la France, et au-delà des Alpes, dans les états italiens, pour leur union au Piémont. Lors de la guerre du Slesvig en 1864, il proposait de trancher le différend de l’Allemagne