Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/553

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conservateurs timorés une alliance qui lui valut l’empire ; par elle, il rassura l’Europe, et la trompa comme la France. Il n’avait point abandonné pour cela les sympathies de sa jeunesse. En 1849, au milieu même de l’expédition de Rome, il les laissait percer, au grand scandale de ses patrons catholiques, dans sa fameuse lettre à Edgar Ney. Depuis, soit prudence, soit incertitude, il dissimula si bien que, lorsque dix ans plus tard il partit pour la campagne d’Italie, la France et l’Europe montrèrent la plus naïve surprise d’une guerre que, de la part de l’ancien insurgé des Romagnes, les plus sages eussent dû attendre. Il n’est pas probable qu’une fois sur le trône Napoléon III ait jamais oublié les promesses ou les espérances qu’il avait jadis données aux patriotes italiens ; il n’avait pas absolument besoin des bombes d’Orsini pour les lui rappeler. Dès le congrès de Paris, le plénipotentiaire français, M. Walewski, introduisait inopinément la question italienne devant les représentans de l’Europe, et les dernières séances de cette assemblée, chargée d’assurer la paix, laissaient déjà soupçonner de quel côté et dans quel intérêt le gouvernement impérial inclinait à diriger ses armes. La guerre d’Orient elle-même, en apparence étrangère à l’idée napoléonienne de reconstitution de l’Europe, en avait été la préface obligée. Avant d’entreprendre quoi que ce fût en Occident, il fallait que le second empire eût rompu l’entente des trois cours du nord, renouée par la révolution de 1848 ; et l’Orient était le seul terrain où il fût aisé de mettre leurs intérêts en désaccord entre eux et avec ceux de l’Angleterre, sans compter qu’une guerre contre la Russie pouvait ouvrir de vastes perspectives du côté de la Pologne.


II

Tout n’était pas pure utopie dans les projets du nouvel empereur. Ce n’était point seulement par amour de la justice, en philosophe ou en apôtre du droit des peuples, qu’il se proposait de reconstituer l’Europe ; c’était en calculateur politique, dans l’intérêt de la grandeur de la France et de l’empire français restauré. Pour Napoléon III, comme pour les libéraux de 1830, l’affranchissement des nationalités devait amener la restauration de la puissance française. Les deux idées étaient intimement liées et se devaient servir de voie l’une à l’autre. C’était grâce à cette reconstitution générale de l’Europe que, sans conquête, sans usurpation sur les droits des peuples, devait se reformer un empire français qui, par la grandeur et l’influence, ne fût pas indigne du premier. Cet agrandissement de la France, que 1815 avait laissée trop petite pour l’héritier du vainqueur d’Austerlitz, devait être atteint de deux façons : d’abord indirectement par la diminution de ses rivales, puis d’une manière directe par le